Jean de La Fontaine
Poète, moraliste et fabuliste XVIIº – Le Lièvre et la Tortue
Rien ne sert de courir ; il faut partir à point.
Le Lièvre et la Tortue en sont un témoignage.
Gageons, dit celle-ci, que vous n’atteindrez point
Sitôt que moi ce but. – Sitôt ? Êtes-vous sage ?
Repartit l’animal léger.
Ma commère, il vous faut purger
Avec quatre grains d’ellébore.
– Sage ou non, je parie encore.
Ainsi fut fait : et de tous deux
On mit près du but les enjeux :
Savoir quoi, ce n’est pas l’affaire,
Ni de quel juge l’on convint.
Notre Lièvre n’avait que quatre pas à faire ;
J’entends de ceux qu’il fait lorsque prêt d’être atteint
Il s’éloigne des chiens, les renvoie aux Calendes,
Et leur fait arpenter les landes.
Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,
Pour dormir, et pour écouter
D’où vient le vent, il laisse la Tortue
Aller son train de Sénateur.
Elle part, elle s’évertue ;
Elle se hâte avec lenteur.
Lui cependant méprise une telle victoire,
Tient la gageure à peu de gloire,
Croit qu’il y va de son honneur
De partir tard. Il broute, il se repose,
Il s’amuse à toute autre chose
Qu’à la gageure. A la fin quand il vit
Que l’autre touchait presque au bout de la carrière,
Il partit comme un trait ; mais les élans qu’il fit
Furent vains : la Tortue arriva la première.
Eh bien ! lui cria-t-elle, avais-je pas raison ?
De quoi vous sert votre vitesse ?
Moi, l’emporter ! et que serait-ce
Si vous portiez une maison ?
Autre analyse :
- Etudes littéraires sur Le Lièvre et la Tortue – B. Van Hollebeke
- Études sur Le Lièvre et la Tortue de La Fontaine, P. Louis Solvet
Analyses de Chamfort – 1796.
V. 7. Avec quatre grains d’ellébore.
C’était l’herbe avec laquelle on traitait la folie. Cette plante a perdu chez nous cette propriété.
V. 25. Croit qu’il y va de son honneur De partir tard. . . .
Toujours la vanité.
V. 31. Furent vains. . . La coupe de ce vers et ce monosyllabe au troisième pied, expriment à merveille l’inutilité de l’effort que fait le lièvre.
V. 54. … Et que serait-ce Si vous portiez une maison?
Trait admirable ; la tortue non contente d’être victorieuse, brave encore le vaincu. C’est dans la joie qui suit un avantage remporté, que l’amour-propre s’épanche plus librement. La nature est ainsi faite chez les tortues et chez les hommes. Louez une jolie pièce de vers,il est bien rare que l’auteur n’ajoute , je n’ai mis qu’une heure, un jour , plus ou moins ; et s’il s’abstient de dire cette sottise, c’est qu’il y réfléchit, c’est qu’il remporte une victoire sur lui-même, c’est qu’il craint le ridicule.
Commentaires de MNS Guillon – 1803.
(1) Ma commère , il vous faut purger
Avec quatre grains d’ellébore. Ma commère, expression de familiarité et de dédain , telle qu’on l’adresse à une folle, à une radoteuse. Vous purger…. d’ellébore. L’ellébore est une herbe médicinale très-commune à Antieyre , que l’on feroit propre a guérir la folie! De là ces invitations proverbiales : allez à Antycire, prenez de l’ellébore. Horace ( Sat. III. v. 82 ) : «D’abord je dis qu’on ne saurait donner une dose trop forte d’ellébore aux avares : je ne sais même s’il ne serait point à propos de leur réserver tout ce qu’en produit Antycire». La Fontaine n’en veut que Quatre grains ; mais la dose est déjà un peu forte. C’est que le médecin croit la cure difficile.
(2) Enjeux. Ce que les joueurs avancent pour être le prix du gagnant.
(3) Les renvoie aux Calendes. C’est-à-dire, aux Calendes grecques, terme indéfini par lequel le débiteur se libère de son créancier : il n’y a pas plus de calendes grecques que de semaine à trois jeudis : double expression proverbiale usitée par Rabelais et les anciens auteurs.
(4) Leur fait arpenter les landes. Les égare dans des terres Stériles, hérissées d’inégalités qui les fatiguent.
(5) Pour écouter d’où vient le vent. Expression populaire, pour marquer le désœuvrement et l’ insouciance.
(6) Croit qu’il y va de son honneur
De partir tard, etc. L’enjambement d’un vers sur l’autre, que la poésie proscrit par-tout ailleurs, est non seulement toléré dans la fable, mais il paraît y faire beauté : c’est sans doute parce que cette manière aisée d’étendre et de placer ce qu’on a à dire conserve à la fable cette aisance , cette liberté qui en font le caractère distinctif ( Dardenne ). Et il cite cet exemple. Discours prélim. page 42.
(7) Avais-je pas raison ? au lieu de n’avais-je pas raison ? Il y a bien des cas où il faut retrancher pas de la négation: je n’en vois point où il soit permis d’ôter ne dans une interrogation.
(8) Si vous portiez une maison ? Non contente d’être victorieuse , elle brave encore le vaincu. Cela est parfaitement dans la nature. (Le Lièvre et la Tortue)
Études littéraires sur La Fontaine – B. Van Hollebeke édition 1855
Après une lecture attentive du texte, l’élève doit se demander : Qu’ai-je lu? Que me raconte La Fontaine? Et la réponse lui est facile :
Une tortue défie un lièvre à la course; — ils luttent, elle avec activité , lui avec insouciance, — et la tortue est victorieuse.
Cette phrase, qui résume tout le récit, offre trois parties bien distinctes : il y a défi — il y a lutte — il y a victoire. La seconde question à se poser est celle-ci : Quel but La Fontaine s’est-il proposé en nous racontant la victoire d’une tortue sur un lièvre?
Après une lecture attentive du texte, l’élève doit se demander : Qu’ai-je lu? Que me raconte La Fontaine? Et la réponse lui est facile :
Une tortue défie un lièvre à la course; — ils luttent, elle avec activité , lui avec insouciance, — et la tortue est victorieuse.
Cette phrase, qui résume tout le récit, offre trois parties bien distinctes : il y a défi — il y a lutte — il y a victoire. La seconde question à se poser est celle-ci : Quel but La Fontaine s’est-il proposé en nous racontant la victoire d’une tortue sur un lièvre?
Le premier vers nous fournit la réponse :
Rien ne sert de courir; il faut partir à point. …Lire la suite…