Légèrement blessé par un jeune chasseur,
Un Lièvre fuyait dans la plaine,
Mais précédant de peu le Chien, leste coureur,
Et prévoyant les maux d’une perte certaine,
Il se blottit, lassé d’inutiles détours ;
Puis, sous l’arrêt du Chien, il risque ce discours,
Que l’espoir de la fuite inspire :
Eh quoi ! c’est sous ta dent qu’il faudra que j’expire ?
Toi, dont tous les pays proclament la bonté,
Tu vas donc mettre à la torture
Une plaintive créature
Qui ne te nuit d’aucun côté ?
Que ne réserves-tu ta haine et ton courage
Pour punir le voleur, de rapine affamé,
Qui peut venir la nuit, par un coin mal fermé,
De ton maître endormi dévaster l’héritage ?
Mais moi, faible, craintif, je ne fais nul dommage
A me détruire ainsi qui peut vous engager ?
Mon seul crime est, je crois, d’être bon à manger ;
J’en suis bien malheureux. Eh ! que n’est-on encore
A ce temps d’innocence où l’homme frugivore
Au bon droit ne dérogeait pas
Pour un repas !
Le paisible gibier, sans crainte pour la vie,
Paissait tranquillement l’herbe douce et fleurie.
Comme en ces jours de paix soyons encore unis !
Quoi ! vous faut-il du sang pour fêter vos amis ?
Et ton riche patron, chez lequel tout abonde,
Ne peut-il, sans civet, régaler tout son monde ?
Accorde-moi la vie, au nom de mes enfants,
Leur âge veut encor mon aide paternelle.
Suis de ton cœur si bon la pente naturelle :
Tu feras des heureux et des reconnaissants.
Le Chien allait céder, ému de la prière,
Lorsqu’il entend venir, dans l’épaisse bruyère,
Ce maître dont il prit les goûts et les penchants.
Il saute sur le lièvre, il l’étrangle à la hâte,
Prouvant ainsi, je crois, que le meilleur se gâte
Lorsqu’il fréquente les méchants.
“Le Lièvre et le Chien”