Denis Charles Henri Gauldrée-Boileau
L’héritier d’un lion avait l’esprit si bas,
Qu’il hantait la canaille et fuyait son espèce.
Il aimait la louange ; on sait qu’en pareil cas
On manque souvent de noblesse.
Le favori de son altesse
Etait messire Aliboron ;
On ne voyait dans son salon
Qu’ânes de toutes les figures.
Il fit si bien, qu’il en prit les allures,
Les mœurs, le langage et le ton ;
Il ne lui manquait plus que de longues oreilles,
Pour paraître un âne parfait.
Avant qu’il eut parlé, chacun applaudissait:
Parlait-il ? ses bons mots passaient pour des merveilles.
Oh! s’écriait-on, comme il brait!
Rien de tel que la flatterie
Pour séduire le cœur et fasciner les yeux.
Un beau jour que sa coterie
L’avait élevé jusqu’aux cieux,
L’impudent vint trouver sire lion, son père,
Et, l’abordant avec fatuité,
Se mit très-gravement à braire :
Il avait cru par-là charmer sa majesté.
Le lion tressaillit et prit un ton sévère :
« Ce cri, dit-il, cet air de vanité ,
» M’annonce ta conduite et ta société :
» Tu devrais rougir et te taire. »
« Qu’ai-je donc fait, pour être ainsi traité?
Reprit son altesse surprise ;
» A l’instant même encor par des ânes vanté…. »
« Quel pitoyable orgueil ! Mais toujours la sottise,
S’écria le roi des forêts,
» Dans son aveuglement en croit qui la courtise.
» Toi, qu’un cercle ignorant exalte et divinise ,
» Apprends ce qu’en tous lieux répètent mes sujets :
» Tout lion qui se sent, méprise
» Ce que vantent de vils baudets. »
“Le Lion et son Fils”