Le Lion, le Loup, et le Renard analysées par MNS Guillon – 1803
Le Lion, le Loup, et le Renard par La Fontaine
(1) Un Lion décrépit, goutteux, n’en pouvant plus. L’harmonie est la langue naturelle de la poésie. Jamais La Fontaine ne manque de donner à son rythme la marche , et pour ainsi dire, l’attitude de la nature. Dans la fable du Vieillard et la Mort :
Enfin n’en pouvant phis d’efforts et de douleur.
(2) Alléguer l’impossible aux rois, c’est un abus. Abus n’est pas le mot. L’abus est dans le vice qu’on reprend, et non dans la censure arôme indiscrète qui reprend. Au reste, cette observation délicate prouve que La Fontaine avoit étudié la politique, et qu’il connoissoit à fond les hommes. Cette fable toute entière , surtout dans la morale qui la termine, en est un témoignage admirable.
(3) Manda des Médecins, il en est de tous arts. Parce qu’il n’est rien dans la nature qui n’ait ses maladies , ou ses vices, auxquels il faut apporter remède. Médecin, de mederi, remédier.
(4) Lui vient des donneurs de recettes. On. dira bien : il lui rient; l’article alors sert de nominatif. Autrement où y en a-t-il ? — Cet air négligé, dit Qicéron, a je ne sais quoi de gracieux, en ce qu’il nous montre un homme plus occupé des choses que des. paroles. (L’orateur, n. 23)
Un Lion décrépit, goutteux, n’en pouvant plus,
Voulait que l’on trouvât remède à la vieillesse :
Alléguer l’impossible aux Rois, c’est un abus.
Celui-ci parmi chaque espèce
Manda des Médecins ; il en est de tous arts :
Médecins au Lion viennent de toutes parts ;
De tous côtés lui vient des donneurs de recettes.
Dans les visites qui sont faites,
Le Renard se dispense, et se tient clos et coi.
Le Loup en fait sa cour, daube au coucher du Roi
Son camarade absent ; le Prince tout à l’heure
Veut qu’on aille enfumer Renard dans sa demeure,
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Vous ne manquez que de chaleur :
Le long âge en vous l’a détruite :
D’un Loup écorché vif appliquez-vous la peau
Toute chaude et toute fumante ;
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(5) Se tient clos et coi. Tranquille : autrefois on disoit quoi; de quietus , en repos. Nous Avons déjà vu ce mot, fréquent dans les anciens fabliaux : Si tous me volüez enquerre.
Pourquoi demoroit en la terre
Si volontiers , et tenoit quoi,
Bien vous dirai; raison pourquoi.
( Lai d’Aristote , manusc. du Roi, n°. 7318. )
(6) Daube, au coucher du roi,
Son camarade absent. Un moderne fabuliste a dit :
Au grand gala de la cour du Lion,
On fit tomber la conversation
Sur les vertus, les talens, les prouesses
Des courtisans de toutes les espèces;
On se dauba , chacun modestement fit son éloge, et rendit la satyre.
( Le Jeune ; Fables nouv. en 1765. Liv. I. f. 9. )
Ce commentaire est joli ; la seule expression du bon La Fontaine vaut mieux. MM. de la Harpe et Champfort se sont rencontrés dans le jugement qu’ils portent de ces vers. Suis -je dans l’antre du Lion fis-je à la cour? — L’expression dauber, bannie du style noble , se montre fréquemment avant. La Fontaine dans le style familier. « Tappez , daubez, frappez, je vous en prie. … Il étoit bien nécessaire que M. Leroy me daubast ainsi, ma bonne femme d’eschisne : ce sont petites caresses nuptiales » Rabelais (Pantagr. L. IV. ch. 12. et ch. 15. )
(7) D’un Loup écorché vif appliquez-vous la peau. Dans Rabelais , frère Jean donne un conseil semblable, ” Laissez – moi cet manteaux de Loup, et faictes écorcher Panurge, et de sa peau couvrez-vous. (L. IV. ch. 24. T. IV. p. 107.) Le roman du Renard (ou Procès des Bêtes) , si célèbre dans les anciennes littératures, avoit été pour Rabelais et pour notre fabuliste, un canevas commun sur. lequel ils ont fait leurs ricbes broderies. (8) Mes sire Loup vous servira, S’il vous plaît, de robe de chambre. Ces vers deviennent redondant et inutiles. Souvent trop d’abondance appauvrit la matière, a dit Boileau dans son Art poétique.