Firmin Bonnans
Poète et fabuliste XIXº – Le Lion, le Renard et l’Âne
Sur un lit tiède encor du sang de ses sujets,
Sire lion faisait sa sieste.
Près de lui se tenait, d’un air simple et modeste,
Un renard, courtisan comme on n’en vit jamais,
Et des plus vils flatteurs le plus parfait modèle.
Le désert respirait : le chevreuil, la gazelle
Et tous les autres animaux
Sautaient, dansaient et jouaient de plus belle
Tandis que leur tyran se livrait au repos.
Un âne, au regard louche, au stupide sourire,
Voulut prendre part à leurs jeux.
On le repousse à qui mieux mieux,
Avec de grands éclats de rire.
« A bas ! lui criait-on, le pelé, le galeux ;
Qu’il aille à ses belles ânesses
Prodiguer ses lourdes caresses
Ou brouter en paix son chardon.
— Je vous sais gré de votre complaisance, »
Répond en courroux le grison,
Et, se mettant à braire avec impertinence,
Il court les dénoncer à leur roi le lion.
Sa majesté ronflait. Notre baudet l’embrasse,
Le sire se réveille et fait une grimace.
« Quoi ! dit le renard irrité,
Lorsque en tous lieux le monde loue
L’éclat et la grandeur de votre majesté,
Un vil grison viendra, sans dignité,
Salir par un baiser votre royale joue !
Il faut, pour le punir, des supplices nouveaux. »
Le lion sourit à ces mots.
« Eh quoi ! dit-il, tu veux que je condamne
Un baudet sous mes yeux tremblant déjà de peur
Que me font les baisers d’un âne
Qui fut toujours un zélé serviteur ?
Quand il pèche par ignorance,
Ne vaut-il pas mieux user de clémence ?
Pardonner, n’est-ce pas montrer de la grandeur ?
Firmin Bonnans, Le Lion, le Renard et l’Âne