Le roi des animaux réfléchissant un jour
Aux défauts de son caractère,
Dit : « Je suis las des flatteurs de ma cour ;
« Et j’ai besoin d’un conseiller sévère,
» Qui modère mon âpreté
» Et me dise la vérité :
» Le Bœuf est sage, froid, austère,
» Et le Renard a de l’esprit ;
» Appelons-les au ministère,
» Par leurs conseils je veux être conduit. »
Sitôt qu’on sut cette aventure,
Tout le monde applaudit, hormis les envieux ;
Le pauvre peuple se figure
Qu’en changeant on est toujours mieux.
Voilà nos conseillers en place ;
Le Bœuf, un peu pesant, mais courageux et bon,
Arrive près du roi, qui, partant pour la chasse,
Croquait à déjeuner un innocent mouton ;
Le vieux ministre invoque la justice,
Cite les saints et les savants,
Le droit divin, le droit des gens ;
Exalte les vertus, tonne contre le vice,
Et conclut ainsi le sermon
Que le roi trouvait déjà long :
« Des méchants seuls, dit-il, un monarque se venge ;
» Mais l’innocent doit vivre en paix :
» Pour être aimé par ses sujets,
» Il ne faut pas qu’un roi les mange. »
L’argument était clair, mais le prince avait faim ;
Dès qu’il en eut compris la fin,
Un coup de griffe affreux fut sa seule réplique.
Le Renard ne dit mot, et se tint à l’écart,
Pour la chasse enfin le roi part.
Il en revint le soir un peu mélancolique,
L’estomac plein et lent à digérer.
Comme au repos il allait se livrer,
Maître Renard, dans un discours sublime
Brillant d’esprit et de clarté,
Contre la gourmandise et la férocité,
En professeur avec force s’escrime,
Et prouve la nécessité
De la vertu, de la sobriété
Et d’un salutaire régime,
Pour conserver sa force et sa santé.
Sire Lion, charmé de sa douce éloquence,
Lui présenta la patte avec affection,
El lui donna pour récompense
De son fils l’éducation :
Je ne sais s’il fit abstinence,
Mais il en eut l’intention.
On fait très-bien de gourmander le vice,
Mais on fait mal quand on l’aigrit.
Qui ne prend pas l’instant propice
Perd tous les frais de son esprit.
Attaquez sans peur l’injustice,
Dites la vérité, sans feinte, sans repos ;
Mais ne la dites qu’à propos.
“Le Lion, le Renard et le Boeuf”