Le lion se promenoit un jour avec le renard et le loup, ses sujets.Tout-à-coup il se mit à bailler, et laissa voir une gueule toute sanglante encore, et remplie de flocons de laine. Le renard s’en aperçut très bien; mais flatteur à son ordinaire: Sire, vous avez faim, dit-il, et je vois par ce bâillement que votre estomac travaille, et que vous n’avez point mangé d’aujourd’hui. Il est vrai, répondit le lion; eh bien! chassons ensemble, nous partagerons notre chasse en commun: mais jurez-moi auparavant d’être fidèles, et de ne rien détourner pour votre profit particulier. » Les deux courtisans jurèrent; le monarque lui-même fit le serment; et, après être convenu d’un signal et d’un lieu de ralliement, ils partirent chacun de leur coté. Mais celui-ci n’eut garde de se fatiguera chasser; il se rendit tranquillement au lieu du rendez-vous.
Pour les deux autres, ils revinrent bientôt après, annonçant qu’ils a voient découvert l’un un taureau, l’autre une vache avec son veau. Sur leur rapport, le roi les suivit pour aller étrangler les trois victimes. Quand elles furent tuées Ysengrin (le loup) proposa de partager. « Volontiers, dit le lion ; eh bien ! fais toi-même les parts.
—Elles doivent être proportionnées à la taille et à l’appétit de nous trois, reprit le loup. Que le taureau soit pour vous, sire; renard aura le veau et moi la vache. »
Pour toute réponse le lion furieux lui allonge sur le museau un coup de griffe, avec lequel il lui arrache un œil et une partie de la mâchoire; puis se tournant vers le renard, il ordonne à celui-ci de partager. « Je vous obéirai, sire, répond le renard, et j’aurai soin de ne pas manquer, comme mon camarade, au respect que je vous dois. Prenez le taureau, sire; il vous appartient comme notre roi et notre maître. La reine, votre auguste compagne, vient de vous donner un lionceau; il est juste que nous travaillions pour elle, donnez-lui la vache; quant à messire votre fils, ses droits ne doivent pas être oubliés, qu’il prenne le veau. »
“Le Lion, le Loup et le Renard”