Le lion et le tigre ayant eu longue guerre,
Le lion enfin fut vainqueur.
Devant lui se taisoit la terre ;
Et le monde animal reconnut son seigneur.
De chaque espèce aussi-tôt on députe,
Pour aller rendre hommage au roi.
Ainsi qu’un autre Ulisse après quelque dispute,
De harangueur le renard eut l’emploi.
Il loüa donc sa majesté lionne ;
Lui dit que son front seul méritoit la couronne ;
Que semblable à Jupin, qui sur son trône assis,
Ébranle tout le ciel quand il meut ses sourcis,
Du mouvement de sa crinière,
Lui lion, il faisoit trembler la terre entière ;
Puis, du petit au grand, vient du grand au petit ;
Lui dit qu’il n’a de loi que son seul appétit ;
Que pour son souverain chaque espèce l’avouë ;
Qu’ils sont ses fidèles vassaux ;
Et qu’il peut se joüer des autres animaux,
Comme du rat le chat se jouë.
Le trait déplut au rat qui même en fit la mouë.
Sire lion trouvant que renard disoit d’or,
Lui fit expédier une bonne ordonnance
Payable à certaine échéance,
Par le dragon, garde de son trésor.
Le singe, comme secrétaire,
En bonne forme mit l’affaire.
Il remet au renard le royal parchemin,
Signé lion, et plus bas, fagotin.
Le renard désormais comptant sur sa fortune,
Croit qu’il achètera les poulets au marché ;
Mais l’argent n’étoit pas touché ;
D’ailleurs le rat n’étoit pas sans rancune.
Le trait de l’oraison lui tenoit fort au cœur ;
Il brûloit d’en tirer vengeance.
Il se glissa chez l’orateur,
Et lui rongea son ordonnance.
Ce que lion flaté vouloit faire de bien ;
Rat offensé le réduisit à rien.
- Antoine Houdar (ou Houdart) de la Motte- 1672 – 1731, Le Lion, le Renard et le Rat.