Un Lion, la terreur de l’Afriquain rivage,
Aprés avoir enfin soumis
Les plus fiers de ses ennemis,
Ennuyé de tant de carnage,
Leur accorda la paix, & s’acquit justement
Le titre de Vainqueur clement,
Par une conduite si sage.
Le calme estoit par-tout : les timides troupeaux,
Sans plus craindre des loups la sanglante furie,
Paissoient sur le bord des ruisseaux,
Et bondissoient dans la prairie ;
Un doux repos regnait parmi les animaux.
Heureux s’ils avaient sçû jouir de sa clemence :
Mais leur temeraire imprudence
Bien-tost les replongea dans des malheurs nouveaux,
Le Lion doux, paisible, affable,
Ne leur paroist plus redoutable,
Et sa genereuse douceur
Passe pour un defaut ou de force ou de cœur.
A ces preventions ils se laissent conduire,
Et s’imaginent follement,
Parce qu’il ne nuit plus, qu’il ne sçauroit plus nuire.
Ils peuvent, disent-ils, venger impunement
Sur ce foible ennemi leur honteuse defaite.
On cabale, on se ligue, on cherche le moment
D’aller insulter sa retraite.
De torts leurs vains projets le Lion averti,
En secoüant son crin d’un air fier & severe :
Osez-vous hazarder le dangereux parti
De troubler mon repos, d’irriter ma colere ?
Temeraires, dit-il, vous apprendrez trop tard
Quel est le funeste hazard
Où vostre aveuglement aujourd’huy vous expose.
Aussi-tost l’Intrepide au combat se dispose.
Un jeune Lionceau plein d’audace & de cœur,
Luy dit : Il suffira, Seigneur,
Pour punir ces mutins, d’employer mon courage.
Je vais vous venger aujourd’hui.
Vous-mesme punir leur malice,
Et contre de pareils rivaux,
Rentrer encore dans la lice,
C’est trop flatter l’orgueil de ces vains animaux.
Par un moindre ennemi leurs troupes combattuës,
N’éprouveront pas moins vostre juste courroux :
Elles auront l’affront, Seigneur, d’estre abattuës.
Et n’auront pas l’honneur de l’estre par vos coups.
Le Lion reconnoist son sang & sa vaillance
Dans ce Lionceau belliqueux ;
Se décharge sur lui du soin de la vengeance.
Le jeune Combattant au comble de ses vœux,
D’abord sur l’Ennemi, comme un foudre, s’élance,
Et d’un Pere attentif à ses premiers combats,
Imite la valeur, & passe l’esperance :
Le danger & la mort ne l’intimident pas.
Cent fois contre des loups, & des bestes vulgaires,
Il fit en se joüant éclater un beau feu.
Vaincre les Ours & les Panthères
Ce n’est encore pour lui qu’un jeu.
Sanglier, Léopard , Hyéne,
Et l’Elephant & le Griffon,
Tous sont renversez sur l’aréne,
Tous dans le Lionceau retrouvent le Lion.
Il attache sur l’un des griffes meurtrières,
Dans le sang d’un second ses dents vont se rougir,
Et pour glacer d’effroy les bestes les plus fières,
De loin mesme il n’a qu’à rugir,
Que sert d’estre couvert par de vastes rivières,
Et par d’impénétrables forts ?
Il traverse les eaux, il perce les tanières,
Et rien n ‘échappe à ses efforts.
Enfin quoi qu’il ose entreprendre,
Sa valeur le sçait achever,
Les plus forts contre lui ne peuvent se défendre,
Ni les plus lâches se sauver.
Alors un Oiseau de présage,
Admirant ce jeune courage :
Allez, s’écria-t-il, encore cabaler,
Troupe inquiéte & teméraire,
D’un terrible Ennemi vous pensiez vous défaire,
En voilà deux à qui parler.
Un Heros jeune & redoutable
Explique le sens de la Fable
Par ces prodiges inouïs,
Qui font au bord du Rhin voir un autre LOUIS.
“Le Lion qui venge son père”