Sire lion, tyran d’une contrée,
Levoit sur ses sujets un tribut inhumain.
Tous les jours un d’ent’reux amené sous sa main,
Devoit lui servir de curée.
Maître renard le brutus de ces bois,
Par son héroïque industrie,
De la dent tirannique affranchit sa patrie ;
Ainsi que la valeur, la ruse a ses exploits.
Un jour il se présente au prince ;
Sire, dit-il, après plus d’un salut,
Je m’étois chargé du tribut
Que vous rend votre humble province.
J’amenois le renard le plus beau d’entre nous ;
Gras et fait à plaisir pour être votre proie ;
Qui même en bon sujet se faisoit une joie
D’avoir été choisi pour vous.
Un lion insolent m’attendoit au passage ;
Il m’a pris le tribut, sans vouloir m’écouter,
De moi daignez vous contenter,
Ai-je redit vingt fois ; cet autre est le partage
D’un roi qui ne vaut rien fâché ;
Pour moi, vous dis-je encor, je suis à bon marché.
Va, m’a-t’il repondu, va chercher qui te mange,
L’ami, je perdrois trop au change ;
Tu n’es qu’une bouchée auprès de celui-ci.
Ah l’insolent ! Il faut que je me vange,
Dit le prince ; est-il loin d’ici :
Non, sire, il est encor tout proche.
Où ? Dans ce puits, là, près de cette roche.
Ça, tout à l’heure, conduis moi ;
Que le rebelle apprenne à connoître son roi.
Ils courent vers le puits. Voyons ce téméraire,
Dit le lion. Je vais vous le montrer,
Dit le renard. Tenez moi, pour bien faire ;
Si je parois sans vous, il va me dévorer,
Aussi bien que mon pauvre frere.
Le lion le tenant, le renard dans les eaux
Lui montre alors la double image
D’un lion prêt à mettre un renard en morceaux,
Le tiran se livre à sa rage,
Il jette là le renard à côté ;
Et déjà dans le puits, pour vanger son outrage,
Lui-même il s’est précipité.
Sa majesté s’y trouva prise ;
Le renard en partant, lui dit encor ce mot :
Foiblesse et ruse est un bon lot
Qui vaut bien puissance et sottise.
- Antoine Houdar (ou Houdart) de la Motte- 1672 – 1731, Le Lion tyran et le renard.