Un loup ne respirait que meurtre, que carnage;
Et ce brigand, fléau des innocents agneaux,
Était encor l’effroi des autres animaux;
Il immolait tout à sa rage.
On en eût volontiers informé le Lion :
Mais son visir le tigre, ayant part au pillage,
Servait au loup de caution.
Cependant jusqu’au pied du trône
Parvint une brebis, qui, les yeux tout en pleurs,
Chargea le loup, disant que sous sa dent gloutonne
Elle avait vu périr trois de ses sœurs.
Le tigre la fit taire, et, prenant la parole,
Rendit bientôt sa harangue frivole :
On la renvoya hors de cour.
Un dogue paraît à son tour;
Il venait pour semblable cause.
Au conseil du monarque humblement il expose
Que le loup, sans sujet, Ta mordu, l’a blessé;
Et, pour donner plus de poids à la chose,
Il fait voir de ses coups procès-verbal dressé,
Signé Maître Bertrand, docteur en médecine.
Notez que ce Bertrand était un singe expert,
Pour qui souvent on mettait le couvert
Chez sa majesté léonine. Le cas est donc pressant.
Comment parer ce coup?
Comment? Notre tigre imagine
De faire un beau portrait du loup :
Il le peint généreux, sociable, tranquille;
Ajoute que le dogue est tant soit peu hargneux,
Qu’un rien suffit pour échauffer sa bile :
D’où le visir conclut (pouvait-il finir mieux?)
Que les griefs du chien étaient calomnieux.
Le plaignant veut répondre: on ne veut pas l’entendre;
Et le Lion, sans être plus instruit,
Menace de le faire pendre,
S’il donne encor matière au moindre bruit.
Le pauvre drille part, non sans quelque rancune,
Se demandant tout bas à quoi servent les lois.
A peu de jours distants, le Lion, sur la brune,
Se promenait seul dans un bois;
Il y découvre un daim avec une chevrette.
Tous deux, pour causer à loisir,
Avaient choisi cette retraite,
Daubant là de bon cœur le loup et le visir.
Sultan Lion s’approche, et, leur prêtant l’oreille,
Du visir et du loup apprend tant de forfaits,
Qu’il en reste interdit, et doute s’il sommeille.
Il veut approfondir les faits,
Prend la peau d’une Biche, et, vêtu de la sorte,
Va voir le loup, gratte à sa porte;
Et puis contrefaisant sa voix :
— Ah ! qui que vous soyez, aidez-moi, je vous prie,
Dit-il, à sortir de ce bois.
— Le loup parait : C’est vous, belle Biche, ma mie !
Vous arrivez fort à propos;
J’ai faim, et vous allez servir à me repaître.
— Il l’attaque en disant ces mots.
Le Lion indigné se fait alors connaître;
Il saisit messer loup, le déchire en lambeaux :
Ensuite, du visir éclaircissant l’affaire,
Il veut qu’aux yeux de ses vassaux
Le tigre soit puni d’une mort exemplaire.
O rois! pour maintenir la justice en tous lieux.
Prenez des mesures pareilles ;
N’entendez que par vos oreilles,
Et ne voyez que par vos yeux.
‘Le Lion vêtu de la peau d’une Biche’