Cette fable va nous prouver que les enfants qui n’obéissent pas à leurs parents s’exposent aux plus grands dangers.
Il y avait une fois un petit agneau tout blanc qu’on appelait Robin. La brebis sa mère en avait bien soin; elle nettoyait tous les jours sa fine toison de laine frisée qui était aussi blanche que du lait, et après cette toilette, elle lui passait autour du cou un ruban bleu auquel pendait un grelot d’or qui rendait un son charmant. Robin se laissait faire, parce qu’il aimait la mère Brebis, parce qu’il savait qu’un enfant bien élevé, qu’il soit riche ou qu’il soit pauvre, doit être propre des pieds à la tète, et puis, sans doute, parce que Robin aimait fort le bruit de son grelot, et que la mère Brebis avait dit : « Sans propreté, pas de grelot. »
Robin ne manquait pas de qualités, à ce qu’il paraît, mais, par malheur, il avait aussi un très grand défaut. Quand,par exemple, quelque chose lui faisait envie, il ne pouvait pas consentir à se passer de cette chose, et il lui arrivait parfois de désobéir à la mère Brebis plutôt que de ne pas satisfaire son caprice.
Vous allez voir comment il fut puni de ce défaut!
Pas bien loin de sa maison, il v avait une belle forêt avec de grands arbres de toutes les espèces, de toutes les essences, comme disent les forestiers : c’était des chênes dont les charpentiers du voisinage liraient de belles pièces de bois très solides, et dont l’écorce, qui prend le nom de tan, sert à tanner, c’est-à-dire à garantir pour toujours de la corruption les peaux de bœuf, de veau, de cheval dont on veut faire du cuir.
Robin aimait beaucoup le fruit de cet arbre, qui est le gland, comme vous savez. Il façonnait des gobelets, des assiettes avec le bas du gland, qui s’enlève sous la forme d’une écuelle ronde, c’est la cupule; et avec le reste, qui ressemble à une boulette verte plus ou moins allongée et qu’il enfilait habilement de ses fines pattes sur des brins de jonc, il confectionnait des colliers.
Vous voyez qu’il était très adroit, l’ami Robin. C’était ensuite des pins, dont le tronc, lorsqu’on l’entaille, laisse couler un suc jaunâtre ; ce suc durcit à l’air et devient de la résine qui brûle en fumant beaucoup, mais dont on fait cependant des chandelles communes pour les ménages pauvres ou économes des Landes et de la Bretagne. Le bois de pin fournit encore du goudron, dont on se sert pour imprégner de l’étoupe et boucher les fentes des vaisseaux, ce qui s’appelle les calfater. On en tire aussi la térébenthine, pour la fabrication des vernis, qui servent à donner du lustre aux meubles et de la vivacité aux peintures; la colophane, sans laquelle l’archet s’agiterait inutilement sous la main du plus grand artiste, beaucoup de choses enfin. Car il y en aurait encore long à dire sur le pin, et pour la bonne odeur qu’il répand quand il est échauffé par le soleil, et pour la douce musique que joue son feuillage délié quand la brise passe au travers, et pour les services qu’il rend à une grande partie de nos côtes, où, sans lui, le sable de la mer, amoncelé en dunes qui marchent peu à peu vers l’intérieur, envahirait le pays, et pour les belles mâtures d’un seul morceau ou les longues pièces de bois, légères et durables, qu’il fournit aux navires et aux constructions diverses…
Oui! après cela l’on écrirait encore longtemps sur l’élégance de sa forme, la délicatesse de son feuillage toujours vert; au point enfin que si, au lieu d’être plante, il était créature, on ne saurait comment le remercier; mais l’embarras n’est pas grand. Ne peut-on pas en effet donner toujours facilement cours à la reconnaissance qu’on éprouve? créature ou non, le pin est un don du bienfaisant Créateur; ne craignons donc point que notre reconnaissance soit perdue. Non, non! nos remercîments arriveront toujours à qui les mérite.
En observateur qu’il était, Robin savait très bien distinguer le pin de son cousin le sapin, ayant remarqué que les feuilles du premier sont plusieurs dans une même gaine, tandis que celles du second restent solitaires, et il était un peu fier de cette découverte; mais ce qui plaisait surtout à Robin dans le pin, c’était son fruit, la pomme de pin ou pignon, qui, pour la forme, ressemble un peu à un artichaut en bois, à un gros œuf tout couvert d’écaillés brunes.
Le plus amusant, c’est que chacune de ces écailles cache une amande très fine et bonne à manger, qu’il serait fort difficile d’enlever, môme avec un couteau ; mais, dès qu’on expose le pignon au feu de la cheminée, de manière à le brûler un peu, les écailles s’écartent d’elles-mêmes et livrent leur amande cuite à point. Comme Robin faisait griller ainsi tous les pignons au risque de se brûler les pattes, je crois qu’il était un peu gourmand : on n’est pas parfait.
Outre les arbres, il y avait des fleurs d’un grand nombre d’espèces, jaunes, rouges, bleues, de mille nuances enfin, et sentant très bon.
Le sol était comme tapissé d’une mousse fine qui paraissait très douce aux pieds de monsieur Robin; enfin, et c’est là ce qui attirait par-dessus tout ce petit joueur de Robin, il y avait un ruisseau qui sautillait de façon à former de petites cascades bruyantes, et roulait ensuite ses eaux claires et rapides sur du sable blanc mêlé à des cailloux luisants de toutes les couleurs.
Mais il y avait dans ce bois une chose terrible pour les agneaux!… C’était un vieux loup!… hérissé, très méchant… avec des dents longues comme çà et qui avait toujours faim.
Heureusement pour Robin que le loup demeurait tout à fait au fond du bois, tandis que la cascade était au commencement, ce qui faisait que le loup n’avait encore jamais rencontré Robin. Cependant la mère Brebis, toujours inquiète, avait bien des fois répété à son agneau: « Ne vas pas seul dans le bois, de peur du loup, et si tu me désobéis, au moins ne fais pas tinter ton grelot. »
Robin promettait, sans mentir d’intention, et puis, quand il était dehors, l’envie le prenait d’aller voir les chênes, les pins, les fleurs, la mousse, les cascades, les ruisseaux, le sable blanc, les cailloux bariolés, et, comme je vous l’ai dit, Robin avait le vilain défaut de ne savoir pas résister à son envie.
Alors, petit à petit, il approchait du bois, Unissait par y entrer., et bien plus, une l’ois qu’il y était, comme une faute en entraîne le plus souvent une autre, il ne pouvait pas résister davantage au nouveau désir de gambader, de sauter et ressauter par-dessus le ruisseau, et de faire par conséquent tinter son grelot, qui rendait un son clair et, sous la voûte des bois, s’entendait de fort loin.
Un jour, écoutez bien : le loup était plus affamé que de coutume. Or il paraît que lorsqu’on a l’estomac bien vide, la vue est plus subtile, l’odorat plus fin, et que l’ouïe surtout perçoit les moindres sons. Ajoutez à cela qu’avant de descendre aux cascades, le ruisseau passait tout près de l’autre du loup, de sorte que tous les bruits, suivant le lit du ruisseau comme si c’était un tuyau, arrivaient à l’oreille du méchant animal.
« Tiens! dit-il ce jour-là, en dressant ses oreilles mobiles, il me semble qu’on fait tinter un grelot par là-bas; comme je n’ai pas encore déjeuné, allons voir ce que cela veut dire; mais comme aussi ce pourrait être des bergers et leurs chiens, avançons avec précaution.» Et il se mit à suivre le fil de l’eau en marchant légèrement, l’échiné baissée, pour ne pas être découvert, allongeant le jarret, en un mot, à pas de loup.
Parvenu au-dessus de la dernière cascade, il aperçoit, au-dessous de lui, le pauvre et insouciant Robin !
L’agneau buvait tranquillement l’onde claire mêlée de cette belle écume blanche que fait l’eau quand elle tombe de haut; c’était pour lui de la crème fouettée, et il ne se doutait pas, le malheureux, de ce qui allait lui arriver.
Le loup frotta ses dents les unes contre les autres, ses yeux devinrent sanglants, et il allait s’élancer, lorsqu’une réflexion passa dans sa méchante tête.
« J’ai déjà une bien mauvaise réputation, pensait-il; si je croquais sans cérémonie le fils de la mère Brebis, on dirait encore plus de mal de moi. Il vaut mieux que je lui cherche querelle ; comme je suis le plus fort et qu’il est craintif’, il ne saura pas me répondre; puisqu’il ne me répondra pas, c’est qu’il se sentira coupable, et, dès lors, j’aurai le droit de le croquer sans plus de procès. »
Le loup se parlait là comme un fourbe cruel qu’il était; car, lorsque le plus grand abuse de sa taille pour faire peur au faible, et ensuite de sa force pour lui faire du mal, il a beau donner des raisons, la raison du plus fort n’est pas, dans ce cas, la meilleure. Vous allez bien le voir tout à l’heure. Prenant soudain sa plus grosse voix : « Mauvais drôle ! s’écria-t-il, qui te donne la hardiesse de troubler l’eau que je bois ? Ne vois-tu pas, petit garnement, que tes pieds remuent le fond du ruisseau et que, par ta maladresse, je suis obligé d’avaler de la boue?… Eh bien ! tu ne réponds rien ? »
Robin, étouffé par la peur, resta en effet un instant sans pouvoir parler; mais, comme il ne savait pas qu’il avait affaire au loup, et que d’ailleurs il n’était pas sot, il retrouva bientôt sa voix et répondit poliment :
« Mais, monsieur, vous vous trompez; d’abord ce ruisseau n’a pas de boue, son lit est formé de sable blanc et de cailloux; ensuite mes pieds ne touchent pas l’eau, et d’ailleurs comment voudriez-vous que le trouble pût remonter jusqu’à vous, puisqu’il y a une cascade entre vous et moi, et que je suis en bas?
— Je te dis que tu troubles mon eau, mauvais raisonneur, » reprit le féroce animal, que les bonnes raisons de Robin mettaient encore plus en colère ; et, pour tacher de lui donner tort d’un autre côté, il reprit: « Et puis, je sais que l’année dernière tu as osé dire que j’étais un scélérat.
— Oh! monsieur, comment cela se pourrait-il? je n’étais pas encore né l’an dernier, puisque je tette encore ma mère, et d’ailleurs je ne vous connais pas.
— Si ce n’est toi, répondit le loup de plus en plus furieux, c’est ton frère.
— Mon frère, monsieur? Je n’en ai pas. »
A ces mots, sentant que Robin l’embarrasserait toujours par son esprit, le loup, hors de soi, se jeta sur lui en hurlant :
« Attends, petit insolent, tu seras châtié de ta témérité. »
Avec ses grosses dents il le saisit par le milieu du dos, et remonta au galop le lit du ruisseau pour regagner son antre et y croquer Robin tout à son aise.
Croyez-vous, mes enfants, que le loup eût la raison pour lui parce qu’il avait la force d’emporter Robin?
Le pauvre agneau poussait des cris si lamentables qu’il aurait attendri des cœurs très durs; mais on eut dit que celui du loup était de pierre, car le ravisseur continuait sa course en faisant entendre un sourd grognement de satisfaction.
C’en était donc fait de ce pauvre Robin!!! On ne peut s’empêcher de le plaindre, car si sa désobéissance méritait d’être punie, encore ne méritait-elle pas de l’être d’une façon aussi terrible; d’ailleurs, lorsqu’on pense à la douceur de l’agneau, à sa tendresse pour sa mère Brebis, on souhaiterait bien qu’il lui arrivât du secours. Mais écoutez la fin; laissons un peu courir le loup, son antre est encore loin. D’abord, figurez-vous bien un ruisseau dans les bois. Quand le terrain est bien plat, le ruisseau s’élargit, forme de petits lacs, parce que ses bords sont très bas, de sorte que lorsqu’on y est entré, il est facile d’en sortir; mais, de temps en temps, il rencontre sur son trajet de petits monticules, entre lesquels il a été obligé de se creuser une route étroite; ce qui fait que de chaque côté s’élève comme une espèce de mur droit, haut précisément comme les monticules. Lorsque ces sortes de passage ont été creusés par de vraies rivières entre de vraies montagnes, on les appelle des défilés, nous pouvons bien les appeler de même.
Ceux de notre ruisseau étaient très resserrés, et quand le loup y était engagé, il ne pouvait ni se retourner ni s’écarter à droite ou à gauche, il fallait absolument qu’il marchât toujours en avant.
Or, dans tous les pays où il y a des loups, il y a aussi de hardis chasseurs qui sont chargés de détruire les loups et qu’on désigne sous le nom de louvetiers. Ils sont chaussés de forts souliers, parce qu’ils marchent beaucoup ; leurs mollets sont serrés dans de bonnes guêtres de cuir pour qu’il ne soient pas écorchés par les épines et parce qu’on se fatigue moins quand le mollet est un peu serré; ils portent enfin un grand couteau de chasse pendu au côté, et, sur leurs épaules, un bon fusil à deux coups.
Les loups ont une peur horrible des louve-tiers, il serait donc bien à désirer pour Robin qu’un louvetier passât parla.
Hélas! l’agneau gémissait toujours et commençait à saigner dans la gueule du loup qui n’avait plus qu’un défilé à franchir pour arriver à sa caverne.
Le ravisseur s’y engagea lestement, et sa vilaine bave lui venait à la bouche quand il pensait au bon déjeuner qu’allait lui fournir le malheureux Robin. Mais voilà qu’avant d’être sorti du défilé, tout à coup ! au dernier tournant, qu’aperçut-il?… que méritait-il d’apercevoir? Le louvetier! debout, le fusil en joue!
A cette vue le loup s’arrêta court, et, comme il arrive lorsqu’on est très effrayé, il ouvrit tout grands les yeux et la bouche, ce qui fit que Robin, sans trop savoir pourquoi, roula dans l’eau, peu profonde heureusement, et ne sentit plus les dents de son ennemi. Au même instant, pan! pan!… un double coup de feu, et le loup tombait sur le flanc, la langue pendante.
Robin n’était pas brave; il se crut tout à fait mort cette fois et restait couché, les pattes étendues; mais le bon louvetier s’approchant le remit debout sur ses jambes branlantes, et lui montrant son ennemi couché sans vie, la tête traversée de deux balles :
« Vas-t’en bien vite, lui dit-il, va rassurer la mère Brebis qui te cherche partout en gémissant, et rappelle-toi cette aventure toutes les fois que tu seras tenté de lui désobéir. »
Vous pensez bien qu’il ne se le fit pas répéter deux fois : jugez s’il partit au contraire en trottinant sans s’amuser, aussi vite que le lui permettaient sa toison mouillée, et tricotant de ses petites jambes encore effrayées.
Quant à vous peindre la joie qu’éprouvèrent la mère et le fils en se revoyant, je ne suis pas assez habile pour le faire, mais je n’ai pas besoin de vous affirmer que Robin devint le plus obéissant des agneaux.
Cette fable vous prouve aussi, par le sort du loup, que le triomphe des méchants est souvent de courte durée, et qu’une punition terrible peut les frapper au moment où ils s’y attendent le moins.