Veut-on tuer son chien, on dit qu’il a la rage.
Ce proverbe est très vrai, pourtant il n’est pas sage.
C’est certain, car il fait l’homme injuste et méchant,
Et transforme en défaut le plus beau sentiment
On en voit parmi nous des exemples sans cesse
De tout espèce.
En effet, qu’un commis déplaise à son patron,
Il sera tourmenté sans rime, ni raison.
Quelque excellent qu’il soit, et quelque bien qu’il fasse,
Il se verra forcé d’abandonner sa place,
Qu’un homme vraiment bon aime à faire le bien,
Aussitôt on dira, bah ! ce n’est qu’un moyen,
Dont il saura plus tard, tirer un bénéfice,
Cette grande bonté n’étant qu’un artifice.
Qu’il soit religieux on l’appelle bigot,
Qu’il parle sensément, on le proclame un sot.
Etes-vous courageux, on vous fait téméraire,
En un mot, seriez-vous le plus parfait sur terre,
Ou s’acharne après vous, et c’est même un motif;
On voudrait bien pouvoir vous enterrer tout vif.
— Et pourquoi — c’est qu’on craint de trouver sur sa route
Un homme qui pourrait par ses faits mettre en doute
Des vertus qu’on affiche, et qu’on ne connaît pas ;
Car les faux vertueux abondent ici-bas.
On en trouve partout, à la cour à la ville,
Et je prends au hasard, un exemple en cent mille.
Dans un paisible bourg vivait uu paysan,
Homme modeste et bon, surtout intelligent,
Dont le rude bon sens, et la rare sagesse
Auraient pu faire honte à gens d’une autre espèce.
Si je le dis, en vérité, Ce n’est point par méchanceté.
Toujours dans le conseil on voyait maître Pierre Dominer,
triompher, malgré Monsieur le maire,
Qui ne comprenait pas qu’un homme de ce rang,
Put l’emporter sur lui, sur lui riche et puissant
Il en devint jaloux, sans vouloir le paraître,
Il eut rougi qu’on crut que cela pouvait être.
Blessé dans son orgueil, il s’était bien promis
De perdre maître Pierre, auteur de ses soucis.
Car je dois vous le dire
Les lauriers de cet homme arrêtaient son sourire.
En effet, il fit tant, qu’il obligea, dit-on,
Maître Pierre à quitter le bourg et le canton.
Des moyens employés, je n’ai rien à vous dire,
Le maire était jaloux, cela doit vous suffire.
L’ignoble jalousie, oh ! nous le savons bien,
Met en jeu tous ressorts et ne respecte rien.
Il me serait aisé de trouver des exemples,
Dans le palais des rois, sous la voûte des temples ;
Mais le faire, à quoi bon ? ne sais-je pas, ma foi,
Que chacun les connaît tout aussi bien que moi.
Alors en pareil cas, se taire est le plus sage.
Car les redire ici serait du rabâchage,
Défaut qui n’a jamais produit Que l’ennui.
“Le Maire et le Paysan”