Denis Charles Henri Gauldrée-Boileau
Un homme vivait à la Chine ,
Qui sans cesse écrivant, compilant, résumant,
Voulait, à ce que j’imagine,
Elever à sa gloire un pompeux monument.
Notre auteur, dans tous ses ouvrages,
Commentait un fatras d’écrits ;
Il hérissait toutes ses pages
De citations, de passages,
Ainsi que font nos beaux esprits ;
Si bien que sa féconde plume ,
Lui faisait entasser volume sur volume.
Il n’était question que de lui dans Pékin.
Advint qu’un jour, certain vieux Mandarin ,
Très en faveur, à mon homme fit dire
Que de tous temps il avait pris
Un plaisir extrême à le lire ;
Et qu’aucun livre, à son avis,
Ne valait les siens dans l’empire.
On sent que le compilateur
Trouva le message flatteur.
Il court au grand , le remercie,
Lui proteste servilement,
Que courbé sous le poids d’un si beau compliment,
Il emploiera toute sa vie
A lui prouver son dévouement.
» Je puis à vos écrits donner la préférence,
» Sans mériter tant de reconnaissance. »
Reprit le courtisan chinois ;
« Je chéris le savoir et je hais la dépense.
» Je vous le dis en confidence,
» C’est à mes seuls défauts que vous devez mon choix.
» Quand tout livre est rempli de pièces inédites,
» Et se grossit encor de notes mal écrites;
Quand je vois tous nos imprimeurs
» S’ériger en spéculateurs ,
» Ne dois-je pas aimer les plumes érudites
» Qui, sans trop leur coûter, instruisent les lecteurs ?
» En donnant par extrait nos lettrés les meilleurs ,
» En vous parant de leurs divers mérites,
» Vous êtes le moins cher de tous leurs éditeurs. »
Cette réponse, un peu méchante ,
Ne parut pas du tout plaisante
A notre auteur. A force de citer,
Tout ce qu’il empruntait, il croyoit l’inventer.
C’est une erreur commune aux gens de cette robe ;
Et ce n’est pas seulement à Pékin,
Qu’à force de piller, oubliant qu’il dérobe,
Tel, parce qu’il écrit, se croit un écrivain.
“Le Mandarin et l’Auteur”