Pañchatantra ou fables de Bidpai
3e. Livre – IX. — Le Marchand, sa Femme et le Voleur
Il y avait dans une ville un vieux marchand nommé Kâmâtoura. Cet homme, dont la femme était morte, devint éperdument amoureux ; il épousa la fille d’un marchand pauvre, et donna pour cela beaucoup d’argent. Mais elle, accablée de chagrin, ne pouvait pas même voir le vieux marchand. Et ceci est bien vrai :
La place blanche que forment les cheveux sur la tête est le plus grand sujet de mépris envers les hommes ; les jeunes femmes l’évitent comme un puits de tchândâla auquel est attaché un morceau d’os, et elles s’en vont bien loin.
Et ainsi : Le corps est courbé, la démarche affaissée, et les dents sont perdues ; la vue tombe, la beauté est détruite et la bouche salive ; les parents ne font pas ce qu’on dit, la femme ne veut pas écouler : fi, hélas ! un fils même méprise l’homme accablé par la vieillesse.
Or un jour, comme elle était avec lui sur le même lit, le visage tourné d’un autre côté, un voleur entra dans la maison. Lorsqu’elle aperçut ce voleur, elle fut troublée par la frayeur et serra fortement son mari dans ses bras, tout vieux qu’il était. Celui-ci, qui d’étonnement avait tous les poils du corps hérissés, pensa : Ah ! pourquoi me serre-t-elle aujourd’hui contre elle ? En regardant adroitement il aperçut le voleur dans un coin de la maison, et il fit cette réflexion : Assurément, c’est par peur de ce voleur qu’elle me serre dans ses bras. Voyant cela, il dit au voleur :
Celle qui a toujours peur de moi me serre aujourd’hui contre elle. Ô toi qui me fais plaisir, bonheur à toi ! prends ce qui m’appartient.
Quand le voleur entendit cela, il dit :
Je ne vois rien que je puisse te prendre ; s’il y a jamais quelque chose à prendre, je reviendrai encore si elle ne te serre pas contre elle.
Ainsi on pense très-bien d’un voleur même, s’il rend service ; à plus forte raison, de quelqu’un qui vient demander protection. En outre, ce corbeau, maltraité par nos ennemis, servira à nous rendre forts et à nous montrer leur trou. Par ce motif il ne faut pas le tuer.
Après avoir entendu cela, Arimardana demanda à un autre ministre, Vakranâsa : Mon cher, maintenant, dans cette situation, que faut-il faire ?— Majesté, répondit celui-ci, il ne faut pas le tuer. Car
Des ennemis même font du bien en se disputant entre eux : un voleur sauva la vie à un brahmane, et un râkchasa sauva une paire de vaches.
Comment cela ? dit Arimardana. Vakranâsa raconta :
“Le Marchand, sa Femme et le Voleur”
- Panchatantra 38