Un jour, Lubin vend sa vache à Grégoire.
On traite, verre en main. L’acheteur, après boire,
Offre cinquante écus ; le prix est accepté,
Et l’argent au vendeur est aussitôt compté.
Tout-à-coup Lubin se ravise
Et dit : — « Ami, sur le total
» J’ai fait une lourde méprise :
» C’est cent cinquante francs que je vends l’animal.
» Vous êtes, je crois, honnête homme :
» Afin de compléter la somme,
» Pour chaque écu j’ai droit à cinq sous comme appoint ;
» Il me les faut, sinon je ne vends point. »
L’autre répond d’un air tranquille :
— « Moi ! je ne vous dois rien, car, de cinquante écus,
» Sans mention d’appoint, nous sommes convenus. »
— « Ça, croyez-vous traiter avec un imbécile ?
Fit Lubin, commençant à s’échauffer la bile :
» Je ne puis me payer de semblables raisons. »
Il dit, et par la queue il empoigne la bête,
Pour la faire au logis rentrer à reculons.
Loin de céder, l’autre s’entête,
Et par les cornes prend l’animal contesté.
Contrainte de subir leurs atteintes brutales,
La pauvre vache, en cette extrémité,
Tirée inversement par deux forces égales,
Ne bougeait pas.— Un gamin qui passait
S’avise d’un bon tour : doucement il s’approche
Du lieu de la querelle, et tire de sa poche
Avec prestesse un gobelet.
Se glissant sous la vache, il se met à la traire,
Et, sans être aperçu, s’abreuve de son lait.
Ainsi souvent, dans mainte affaire,
Entre deux contractants surgit-il un conflit ;
Survient, en tapinois, un troisième compère,
Qui, fort adroitement, sait en tirer profit.
“Le Marché contesté”