Le Marchant de Vieville. – Ab. L. LE MARCHANT DE LA VIEVILLE, 17?? – 18??.
Membre de l’Athénée des Arts de Paris, de la Société libre des Sciences , Lettres et Arts , et de celle des Belles-Lettres.
FABLES :
- Prologue
- Le Dogue et le Roquet
- La Guêpe et l’Araignée
- Le Lionceau et le Renard
- La Glace et le Tain
- Les deux Échelles
- L’Agioteur et le Porte-feuille
- Le Tout et la Partie
- Le Rideau et le Verrou
- Les Notes de Musique
- Le Jugement de la Raison ou les deux Fabulistes
- La Reine et le Pion
- Le Scrutin littéraire
- Le Bloc de Marbre et la Statue
- La Vieille et la Raison
- L’Homme et le Pistolet
- Les Échelons
- La Voix inconnue et le jeune Homme
- La Montre et l’Horloger
- La Pudeur et la Liberté
Discours préliminaire (extraits) :
La fable étant faite pour éloigner les hommes du vice, pour leur faire aimer et pratiquer la vertu, doit être claire dans sa narration, vraisemblable dans les faits, élevée dans ses pensées, rapide dans sa marche, sublime dans la morale qui la termine.
Ce serait bien ici l’occasion d’examiner si la morale a plus de grâce placée au commencement qu’à la fin de la fable, mais M. de la Mothe a, je crois, suffisamment démontré qu’elle doit toujours être à la fin. Je suis de son sentiment, et je renvoie les lecteurs à son discours, car ce que je dirais à ce sujet ne ramènerait pas les entêtés de leur prévention. L’entêtement est une maladie contre laquelle on ne connaît aucun remède.
La fable n’est point faite pour l’enfance (*), ainsi qu’on l’a cru jusqu’à ce jour : mais on peut avec elle exercer la mémoire des enfants, sauf à leur en faire examiner les beautés à mesure que l’âge vient développer leurs organes.
La fable renferme toujours une morale. Cette morale porte sur la religion, l’Etat, les égards que l’on se doit dans la société ; sur les passions qui métamorphosent les hommes, comme l’amour , l’ambition, l’avarice, etc. ; or l’enfance ne pouvant avoir une idée juste du bien et du mal ne peut par conséquent profiter d’une fable qui fronde une chose qu’elle ne connaît pas.
….
Les premières fables furent faites pour faire parvenir la vérité au pied du trône, pour affermir le peuple dans l’obéissance à son souverain légitime , et pour faire connaître à ce dernier qu’on n’est jamais assis longtemps sur le trône, quand on ne règne point par la justice.
La fable est un miroir où l’on se regarde avec plaisir, parce qu’y voyant à-la-fois les autres et soi-même, nous rougissons des défauts que nous avons, en les blâmant dans ceux en qui nous croyons les reconnaître.
Voulez-vous faire de bonnes fables ? n’allez jamais chercher des faits qui répugnent au bon-sens. Que le récit soit clair, naturel, serré, que les peintures, soient vraies , la morale pure et vivement frappée , et surtout qu’elle soit toujours tirée du fond de votre sujet.
On s’abuserait étrangement, si l’on se croyait fabuliste parce qu’on a fait jaser des animaux, et que du discours qu’on leur a prêté, on en a tiré un proverbe, une sentence, ou une idée saillante.
Pour qu’un fabuliste soit utile, il ne suffit pas qu’il termine ses fables par des bluettes ou des pensées vagues dont on ne peut tirer aucun fruit. Il faut essentiellement que la moralité soit moralité précepte. En vain aurait-il charmé son lecteur , par une versification soignée , élégante et rapide ; c’est au but qu’on l’attend; et s’il n’intéresse que l’esprit, s’il n’a pas pénétré jusqu’au cœur , on le range dans la classe des poètes agréables, mais sans énergie ? C’est un conteur qui ne pourra jamais se flatter de ramener dans le chemin de la vertu ceux qui ont eu le malheur de s’en écarter.
Un moraliste veut-il seulement rappeler aux hommes des vérités connues, mais du premier ordre ? rien ne peut le dispenser de sculpter, avec beaucoup de soin, le cadre dans lequel il se propose de les exposer à son tour.
…
(*) Voyez Emile. Les grands hommes font autorité , et mon système est appuyé par le célèbre citoyen de Genève,