Charles-Guillaume Sourdille de la Valette
Écrivain, poète et fabuliste XVIIIº – Le Merle et les Corbeaux
Certain Merle, dans son bocage.
Vivait honoré, respecté :
C’était vraiment un personnage.
Les oisillons du voisinage
Ne passaient point de son coté
Sans lui présenter leur hommage.
Mais pour lui quel mince entourage !
Près des grands il se plairait mieux.
Perds-toi donc, et cherche, orgueilleux.
Des amis d’un plus haut parage.
« Ah! dit-il, voici des Corbeaux :
« Qu’ils ont l’air noble ! qu’ils sont beaux !
« Je veux vivre avec eux : j’ai le même plumage ;
« Moins de taille, il est vrai, mais aussi mon ramage !…
« En moi déjà je sens un esprit tout nouveau :
« Foin des Merles ! je suis Corbeau. »
Le voilà donc mêlé parmi la bande,
Sans qu’on y fasse attention.
D’un ton froid et hautain à peine on se demande
Quel est ce petit embryon.
Bassesse et vanité souvent logent ensemble ;
Mon Merle en est la preuve : il prend d’humbles façons.
Il se prosterne, et, d’une voix qui tremble.
Adresse quelques mots à ses tiers compagnons.
Un coup de patte le fait taire.
L’instant d’après on trouve du butin ;
Rien ne manquait, l’appétit ni la chère ;
Il veut prendre place au festin :
« Halte-là ! lui dit-on ; vous êtes un peu leste ;
« Vous en aurez, mais s’il en reste.»
Le repas fait, la troupe part : le vent
Par hasard a poussé le faible oiseau devant.
Lors un Corbeau, pour injure dernière :
« Mon petit, tenez-vous derrière. »
Se souvenant enfin de ses anciens amis,
Le Merle fuit à tire d’aile,
Et va, bien corrigé, retrouver son pays
Et l’aubépine paternelle.
Malheur à qui sort de son rang !
Je suis plus petit près d’un grand.
Que chacun reste à son étage,
C’est le plus sûr et le plus sage.
Sourdille de la Valette, Le Merle et les Corbeaux