Un meunier philosophe ennuyé de son sort,
— Tant la philosophie est une chose vaine !—
Se vantait devant tous de mépriser la mort.
Car, disait-il, la vie humaine
N’est que de calamités pleine ;
Tous les plaisirs sont faux, mais vrais sont les malheurs
Tous les hommes sont des trompeurs,
Toutes les femmes des coquettes,
A moins qu’elles ne soient ou laides ou mal faites ;
On no peut qu’être mieux ailleurs ;
La vie est en un mot une longue souffrance
Dont la mort termine les maux.
Pendant l’invasion que fit la Prusse en France,
La Mort se présenta, non pas avec sa faulx
(C’était bon sous le paganisme),
Mais sous l’air et les traits d’un hulan prussien.
Le hulan était seul ; pour l’homme c’était bien
Le moment ou jamais d’avoir de l’héroïsme ;
Mais, quoiqu’il se posât comme un stoïcien,
Ce n’est qu’en discours seuls qu’éclatait sa vaillance,
Comme à tous nos rhéteurs avec leur éloquence.
Il grimpa tout tremblant au haut de son moulin,
Et vite se cacha dans un sac jadis plein.
Mais un détachement envahit le village,
Et sur un coup de feu venu d’un franc-tireur,
Conformément à son usage,
L’ennemi fit partout le sac et le pillage.
Quand on le retrouva, le meunier beau parleur
Était mort simplement de peur.
Beaucoup bravent de loin la mort avec audace,
Mais ils meurent d’effroi quand elle les menace.
“Le Meunier philosophe et la Mort”