Jean-Joseph Vadé
Un jour la Vérité, dans une grande place,
Montrait, pour de l’argent, un magique miroir.
Oh! oh! dit le public, c’est une chose à voir!
Le monde y court. La merveilleuse glace
Avait entre autres le pouvoir,
Quand on fixait les yeux sur sa surface,
D’en apprendre bien plus qu’on n’en voulait savoir.
Le faux dévot, la coquette, la prude,
Le traître, l’ingrat, le méchant.
L’orgueilleux, le faquin, le brutal, le pédant
Venaient des curieux grossir la multitude :
Bref, chacun y voyait ses défauts découverts,
On rougissait, on ne savait que dire.
Mais ai-je bien les yeux ouverts !
On les frotte, on les ouvre, et puis on se remire :
Mêmes objets de nouveau sont offerts.
Au diable le miroir!
On s’y voit de travers ; Bonsoir,
la Vérité, gardez votre vitrage;
Et puis, sans la payer, on lui dit bon voyage.
Pour s’enrichir, la Vérité Avait sans doute pris le change :
La fortune n’est pas pour la sincérité.
Nous ne payons que la louange.
*Le miroir et la Vérité