Alors qu’en voyant des lunettes,
Sans connaître
Qui, à l’accoutumée, en chevauche son nez,
Tu t’empresses d’imaginer
Que d’une aïeule ou d’un vieux prêtre
Elles complètent
La silhouette,
Que ceux-là, ou que leurs semblables, doivent être
Aux lunettes prédestinés,
Au contraire un monocle
Evoque,
Plein de superbe et de dédain,
Quelque gandin D’un chic hautain.
Et qui des lunettes se moque,
Homme de cercle, homme de sport,
Qui, dans un somptueux décor,
Seul possède encor La manière
De camper ce disque de verre,
Solidement et sans effort,
Sous son arcade sourcilière, —
Regarde un peu Comme il nous toise — :
Si les lunettes sont bourgeoises.
Le monocle est aventureux.
Et c’est pourquoi l’on pourrait croire
Que, perdu par l’ambition.
Et les mauvaises fréquentations,
C’est le monocle, un jour, que l’on
Trouvera compromis dans une sombre histoire,
Que c’est à lui que l’on dira, ou peu s’en faut,
Qu’il finira sur l’échafaud,
Comme l’on fait aux polissons notoires.
Sur l’échafaud, dites-vous ? Voire !
Au seuil de son dernier matin,
Vois cet assassin
Qui regarde
La machine de Guillotin
Avant la suprême escalade ;
Il la regardes ultime orgueil,
Il la regarde avec son monocle dans l’œil,
Car mieux que cigarette, ou que rhum en rasade,
Que ses geôliers lui tendaient,
Le misérable avait à l’instant demandé
De pouvoir seulement garder
Son monocle pour aborder
La guillotine ;
Or c’est bien ce qui le chagrine,
C’est que la sinistre machine
Vers laquelle on l’a bousculé,
Basculé,
Cette lunette où le bourreau lui met la tête,
Au lieu de ce nom qu’on lui prête,
Etrange façon de parler,
Du nom de l’honnête
Lunette,
Devrait-on pas monocle l’appeler ?
L’homme propose, Dieu dispose,
Guillotin était médecin,
Le nom ne fait rien à la chose,
Et nul n’échappe à son destin.
“Le monocle et les lunettes”