Un navire fendait les flots ;
Tous buvaient ou chantaient, soldats et matelots.
D un souffle léger animée,
La machine, à leur gré, se mouvait à leurs yeux.
D’un départ si riant la troupe était charmée :
Jusque-là tout allait au mieux.
Le capitaine, heureux dans ses voyages,
Sur celui-ci fondait les plus grands avantages,
Et déjà dans son cœur en rendait grâce aux dieux .
Par trop il se pressa : changeante est la fortune,
Et sur terre, et chez Neptune.
Un avide corsaire aborde le vaisseau.
Grand combat. Sur le point d’avoir même tombeau
Tous opinèrent à se rendre.
On députe. Il fut arrêté
Que l’ennemi n’aurait qu’à prendre
La marchandise, et que la liberté
Resterait au vaincu : ce fut là leur traité.
Tous, en y souscrivant, avaient l’âme ravie
D’avoir sauvé la liberté, la vie.
Heureux si leur malheur en fût demeuré là !
Mais qu’était-ce que tout cela ?
Une affreuse et noire tempête
Tout à coup leur vola les deux.
L’air mugit, le tonnerre éclate sur leur tête,
Et, sous plus d’un aspect, la mort s’offre à leurs yeux.
La manœuvre aux autans* ne fait point lâcher prise,
Et, jouet du flot irrité,
Contre un rocher le navire est jeté ;
Près de cet écueil il se brise.
Chacun, au milieu du débris,
Poussant au ciel de lamentables cris,
Est englouti dans l’onde amère.
Ce fut bien pis que le corsaire.
Le capitaine, homme de jugement,
Se livre au perfide élément,
Voit une planche ; il la saisit, s’y colle ;
Et là, fondant sa sûreté,
Malgré tout le courroux d’Eole,
Sur le rivage il est porté.
Des sauvages bordaient la côte ;
Lorsqu’ils virent vers eux arriver un tel hôte,
L’environnant de tout côté,
Cruellement ils s’en saisirent
Et, grâce à leur férocité,
Ses jours et ses peines finirent.
Quand l’infortune fond sur nous,
La résistance est inutile,
Et les malheurs, comme à la file,
Se font un jeu de venir tous.
Préparons-leur un cœur tranquille.
*Vents forts
“Le Naufrage”