Le narcisse est plein de lui-même ;
Sa faiblesse est vraiment extrême.
Jamais d’un autre amour il n’accepte la loi ;
Il se fait grand tort, selon moi.
Un papillon un jour lui dit: — Mon cher narcisse,
Je voudrais te rendre service.
Tu parles constamment de toi ;
C’est un grand travers. Ce langage
Accable d’ennui. Sois plus sage. —
— J’abonde dans ton sens, lui répondit la fleur,
Et je reconnais ma folie ;
Mais tu sais que je dois la vie
Au beau Narcisse. Ce chasseur
Qui s’aimait, ne pouvant se bannir de son cœur,
Fut changé par les dieux cruels en une plante
A lui-même trop ressemblante.
Mais ravissante, je le crois.
Vois ces boutons d’argent et d’or, et cette tige
Que le plus léger vent oblige
À s’incliner, comme autrefois
Se penchait sur le vert rivage
Narcisse cherchant son image.
Hélas ! est-ce ma faute à moi, si je ne vaux
Guère mieux que ce pauvre père,
Si comme ses vertus, je montre ses défauts?
Pourtant tu n’es pas trop sévère.
Non, non, je parle trop de moi.
Mais… — Halte-là! ne te déplaise,
Dit le papillon. Sur ma foi,
Ami, tu ne médis de toi
Que pour en parler à ton aise. —
Il partit vite.
Que de gens
A ma fleur sont trop ressemblants !
“Le Narcisse et le Papillon”
- Alexis Rousset , 1799 – 1885