Grands rédacteurs de tout malin journal,
Vous dont le talent s’étudie,
Dans le bien même, à ne voir que du mal,
Ma fable vous regarde, et je vous la dédie.
Un paon attiré par la faim,
Près d’une grange où mainte volatile
Eparpillait la paille, et becquetait le grain ,
Se trouvant bien dans un si bon asyle,
Allait, se promenait d’un pas noble et tranquille.
Jamais sans faire envie un mérite n’a lui.
La volaille est bientôt de ce vice infectée.
Dindes, poulets, oisons,tous se raillaient de lui,
Et prétendaient sa démarche affectée.
Le paon , certain de sa beauté,
Se sentant au-dessus, méprisait leur injure.
Sa queue aux cent couleurs s’ouvre avec majesté,
Réfléchit le soleil, et confond leur censure.
Plus il brillait, plus il est envié.
Amis , dit d’abord un coq-d’inde,
De tant d’éclat humilié,
Fut-il oiseau plus vain ? voyez comme il se guinde.
Et quel est donc ce mérite, après tout,
Sur qui sa fierté se retranche ?
Tout bien examiné, nous le valons en tout;
Et nous avons la peau plus blanche.
Les dindons d’applaudir. Un oison nasillant,
Prétend rabattre aussi son orgueil insolent.
Sans parler de défauts qui sont assez visibles,
Quelles jambes ! quels vilains pies !
Dit-il; mais ses cris sont encor plus horribles :
Les hiboux même en seraient effrayés.
Le paon , sans se fâcher, réplique:
Oui, vous avez, raison, quand vous blâmez ainsi
Mes jambes et ma voix : mais les vôtres aussi
Pourraient prêter à la critique.
Condamner les défauts, sans louer les beautés,
C’est être sot et vain : sur mon aigrette bleue,
Vous vous taisez, jaloux ! et pour rien vous comptez
Les émeraudes de ma queue.
“Le Paon, le Coq d’Inde, et l’Oison”
Ange-François Fariau de Saint-Ange– 1747 – 1810