Fables de l’Académie des jeux floraux
M. Charles Tirel de La Martinière (1792-1846), un des quarante Mainteneurs.
Lue dans la séance particulière du 20 juillet 1839
(Imitation de l’Espagnol)
Resplendissant d’azur, brillant de pourpre et d’or,
A tant d’éclat joignant encor
Grâce et beauté, tout fier de sa parure,
Un Papillon, enfant gâté de la nature,
Vint un matin, Sur la plus vermeille des roses
Au souffle du zéphyr écloses,
Arrêter son vol incertain.
Mais, à peine posé sur la fleur pudibonde,
Il aperçoit un Limaçon
Qui, las de parcourir le monde,
Au pied du rosier, sans façon,
Avait suspendu sa maison.
Lors, affectant une terreur profonde:
O Jardinier! dit-il, imprévoyant garçon ,
A quoi bon tant de soins ,à quoi bon tant de peines,
Pour conserver, l’hiver, sous de chaudes baleines
Tes plantes, tes fruits et tes fleurs,
Quand un reptile impur, instrument de dommage,
Ose porter le deuil et le ravage
Sur les objets chéris de tes constants labeurs?
Tu le dois immoler; sa vue est un outrage….
— Tout beau, reprit l’hôte du coquillage,
Crois-tu me faire peur en tenant ce langage ,
Ce serait vraiment du nouveau;
As-tu donc oublié sitôt
Ton origine et ton berceau,
Et que tu te faisais naguère honneur et gloire
D’être vu près de moi?…. Mais on perd la mémoire
Des jours mauvais, quand le temps devient beau!…
Cependant, si tu peux renier ta famille,
Beau Papillon, en d’autres lieux,
Tu n’es, je t’en préviens, pour moi, qu’une chenille,
Et cet aspect brillant, ce corps si gracieux,
Tout cet éclat, tout ce luxe éphémère,
Ne sauraient tout-à-fait déguiser à mes yeux
L’insecte que longtemps j’ai vu ramper à terre. »
O Parvenus ! ceci s’adresse à vous ;
Ayez un peu d’esprit, n’exigez pas de tous
Qu’on vous loue et qu’on vous encense;
Qu’il soit permis au compagnon d’enfance
Demeuré pauvre et vertueux ,
De côtoyer votre opulence
Sans avoir à subir votre dure insolence;
A peine il vous a vu qu’il détourne les yeux,
Sachez-lui gré de son silence;
Mais non, vous l’insultez: ô triste aveuglement !
De l’or et du pouvoir fatal enivrement!
Travers honteux, incurable folie!…
Contre une telle maladie,
Que peut la Fable, hélas ! que peuvent nos discours ?
Cependant, écrivons et protestons toujours….
“Le Papillon et le Limaçon”
Recueil de l’Académie des Jeux Floraux – 1839