Pañchatantra ou fables de Bidpai
XIX. — Le Passereau et le Singe
Il y avait dans un endroit d’une forêt un arbre samî. Sur une branche pendante de cet arbre avait établi sa demeure et habitait un couple de passereaux des bois. Or un jour qu’ils étaient là agréablement, un nuage d’hiver se mit à répandre la pluie doucement sans cesser. Cependant un singe qui, frappé par le vent et l’averse, avait le corps hérissé, jouait de la vînâ des dents et tremblait, vint au pied du samî et s’assit. Quand la femelle du passereau le vil dans cet état, elle lui dit : Hé, mon cher !
Pourvu de mains et de pieds, tu as l’aspect et la figure d’un homme : tu es brisé par le froid, sot ! pourquoi ne te construis-tu pas une maison ?
Lorsque le singe entendit cela, il lui dit avec colère : Vile femelle, pourquoi n’observes-tu pas le silence ? Ah ! l’impudence qu’elle a ! Parce qu’elle possède une maison, elle se moque de moi. Car
la méchante femelle d’oiseau, la veuve qui parle en savante, ne craint rien en babillant : pourquoi donc ne la tué-je pas ?
Après avoir ainsi parlé, il lui dit : Imbécile ! qu’as-tu besoin de t’inquiéter de moi ? Et l’on dit :
Ici-bas un sage doit parler quand on le questionne avec confiance ; parler sans être interrogé, c’est comme si l’on pleurait dans une forêt.
Bref, dès que ce singe fut interpellé par cette femelle fière de son nid, il grimpa sur le samî et brisa son nid en cent morceaux.
Voilà pourquoi je dis :
Il ne faut pas donner un avis à tout individu quel qu’il soit. Vois : un sot singe priva de maison celle qui avait une belle maison.
Ainsi, sot que tu es, quoique instruit par de respectables maîtres, tu n’as rien appris ; ou plutôt ce n’est pas ta faute, car l’instruction profite et donne du mérite au bon, non au méchant. Et l’on dit :
Que fait le savoir s’il est placé en lieu non convenable ? Il est comme une lampe posée dans une cruche couverte d’obscurité.
Aussi, comme tu as acquis un savoir inutile et que tu n’écoutes pas mes paroles, tu ne connais pas même ta propre tranquillité. Tu es donc sûrement un inférieurement né. Et l’on dit :
Ceux qui connaissent l’Écriture doivent savoir qu’il y a dans ce monde le fils né, le fils également né, le fils supérieurement né et le fils inférieurement né.
Le fils né a les mêmes qualités que la mère ; le fils également né ressemble au père ; le fils supérieurement né le surpasse ; le fils inférieurement né est l’inférieur des inférieurs.
Et l’on dit : Râma ne connaît pas la gazelle d’or. Et en outre :
Il ne s’inquiète pas même de sa propre perte le méchant qui se réjouit du malheur d’autrui : souvent, au commencement d’une bataille, quand la tête périt le tronc danse.
Ah ! on dit ceci avec raison :
Dharmabouddhi et Koubouddhi me sont tous deux connus : le fils, par son savoir inutile, fit tuer le père au moyen de la fumée.
Comment cela ? dit Dauianaka. Karataka dit :
” Le Passereau et le Singe”
- Panchatantra 19