Le récit précédent me remet en mémoire
Une histoire
Qui, quelque peu semblable, en diffère pourtant
Par la moralité ; c’est le point important.
Certain homme faisait une cour assidue
Au Plaisir qui, fort dédaigneux,
Et même assez capricieux,
Acceptait cette cour comme chose bien due.
De loin en loin, une faveur
Était le prix de la ferveur
Que montrait son ardent disciple ;
Noire homme en eût voulu le triple.
Il eut enfin l’idée, un jour,
Déjouer au Plaisir un tour.
— Daignez, seigneur, dit-il, accepter une fête
Dans un séjour délicieux,
Presque digne de vous, de vous le roi des dieux.
Tout un monde élégant le remplit et s’apprête
A vous recevoir noblement.
Il n’est aucun amusement
Que n’offre ce réduit: la danse, la musique,
Le jeu, la bonne chère, enfin tout. Je me pique
Du plus exquis raffinement ;
Et vous m’en ferez compliment. —
Le Plaisir accepta l’agréable partie.
Il court à la maison des champs,
Où sans doute il pourra dépouiller l’apathie
Que la satiété fait peser sur ses sens.
Tout un grand jour le dieu s’amuse.
Le lendemain il sent l’ennui.
— Adieu, je pars.- Comment! – L’on m’attend aujourd’hui
Quelque part. Déjà l’on accuse
Mon absence. -Ajournez… – Je ne puis; serviteur. –
Mais la porte était bien fermée ;
Et voilà du Plaisir la colère allumée.
— Tu m’appartiens, Plaisir, laisse-là ta fureur. —
Le dieu prie en vain , on l’entraîne,
Et bien plus, vraiment, on l’enchaîne,
Mais avec des anneaux de fleurs.
— Tu resteras ici, tu charmeras ma vie. —
— Eh bien! dit le Plaisir, essuyant quelques pleurs.
J’y consens, je veux bien contenter ton envie,
Me voilà ton hôte à jamais;
Mais regarde-moi bien maintenant. —Je ne sais
Gomment put s’accomplir la chose :
Une étrange métamorphose
Fit tout-à-coup naitre l’horreur :
Une femme éplorée, un sujet de terreur…
On poursuit le plaisir, on atteint la douleur.
“Le Plaisir et son Adorateur”
- Alexis Rousset , 1799 – 1885