A M. D. L. H. critique célèbre.
Honni soit l’envieux Zoïle,
Outrageant sans pudeur l’esprit et le bon sens !
Mais honneur à Boileau : sa censure est utile.
L’ennemi des défauts est l’ami des talens.
Sur cette cime, aux Perraults peu connue,
Où parmi des bosquets de lauriers toujours verts,
L’Hypocrène s’échappe, et jaillit dans la nue,
Croissait un plant fécond de rhubarbe et de rue,
Végétaux précieux, salubres, mais amers.
Le dieu du Pinde et de la médecine,
Apollon de ses fils connaissant les besoins.
Lui-même avait planté sur la double colline
Ce purgatif heureux, si digne de leurs soins.
Il en apprend l’usage ; il en prescrit la dose.
Ce remède était sûr pour les vents, les tumeurs,
Pour les accès de fièvre, et les excès d’humeurs,
Pour chasser le levain que la bile dépose,
Pour déterger le sang de ses impuretés ,
Relâcher, resserrer, fondre les duretés,
Pour prévenir le mal, et dissiper sa cause.
L’usage en était bon ; on le traite d’abus.
Le peuple des rimeurs l’avale avec contrainte :
Chacun de contester ses salubres vertus;
Chacun de protester, de jurer que son jus
Est un poison plus amer que l’absynthe.
On conspire, on résout de détruire en entier
Cette plante funeste, et que chacun abhorre.
Chacun quittant la plume, et l’encre, et le papier,
La foule aux piés, l’écrase, et la refoule encore.
Des rameaux sur le sol ployés et reployés
La feuille déchirée offre un terreux mélange :
Chacun saute, bondit sur leurs restes broyés,
Et laisse tout le plant au niveau de la fange.
Les rimeurs triomphaient : Apollon en Sourit ;
O folle audace! ô triomphe éphémère !
Contre mes soins pour vous, quel chagrin vous aigrit ?
Enfans ingrats ! oui, la plante est amère;
Mais son amertume guérit,
Il dit; et la fraîcheur d’une douce rosée
Rend la sève et la vie à la plante écrasée.
De sucs réparateurs la fibre se nourrit ;
La tige se relève, et le plant refleurit.
En le foulant aux piés, une tourbe mutine
N’avait pu de l’arbuste attaquer la racine.
Cher aux fils d’Esculape , on le vit désormais
Renaître et repousser, plus fécond que jamais.
Toi, dont le dieu du goût approuve la critique
Accepte de ces vers l’hommage allégorique.
Ma fable est ton histoire : oui, le Pinde français
Vit de nombreux rimeurs maudire tes succès.
Mais toujours la raison t’a vengé de l’injure.
Poursuis; sur les auteurs exerce ta censure;
Et pour mieux les confondre, éclaire tes rivaux.
Ne crains plus aujourd’hui qu’à des excès nouveaux
Leur haine aveugle se hasarde :
Contre les médians et les sots,
Apollon est ta sauve-garde.
“Le Plant de Rhubarbe”
Ange-François Fariau de Saint-Ange – 1747 – 1810