Sur la rivière à la fin d’un beau jour,
On tiroit un feu d’artifice.
C’est en vain que la nuit croit régner à son tour,
Du soleil endormi Vulcain faisoit l’office ;
Mille jeux de son art, malgré Phoebus absent,
Firent voir le jour renaissant.
Au bruit soudain, tout le peuple aquatique
S’effraye au fonds de son manoir ;
L’air tonant, embrasé, trouble la république
Ils n’osoient entendre ni voir.
Malgré cette première transe,
L’onde les rassuroit un peu ;
Car, où seroit la vraisemblance
Que le monde poisson dût périr par le feu ?
Ils ne sont pas long-tems à le trouver possible.
La vraisemblance arrive ; et mille serpentaux,
Vrais foudres à leurs yeux, perçant le sein des eaux
Leur portent de la mort la menace terrible.
Ah ! S’écrierent-ils, le monde va finir.
Chacun déja songe à sa conscience.
Nous le méritons bien ; le ciel veut nous punir,
Dit un brochet : perfide engence,
Sans cesse ici nous nous mangeons ;
Moi, mes enfans ; vous, les goujons ;
Et les goujons quelqu’autre espèce.
Malheur aux plus petits : c’est le dîné des gros,
J’en dis ma coulpe, et le remords me presse ;
Nous avons allumé les célestes carreaux.
Retire ta main vangeresse,
Jupiter ; fais-nous grâce, et nous te promettons
De n’être plus inhumains ni gloutons.
Le feu cessa pendant la répentance ;
La peur s’évanouit, et l’appétit revint.
Chacun alors ne se souvint
Que d’aller chercher sa pitance.
Leur vœu d’humanité souffrit bien du déchet.
Le brochet pénitent déjeuna d’un brochet.
- Antoine Houdar (ou Houdart) de la Motte- 1672 – 1731, Le Poisson et le feu d’artifice.