Le quart d’heure de Rabelais.
On appelle ainsi un mauvais moment à passer, mais plus communément l’embarras dans lequel un homme peut se trouver de payer son écot ; enfin, une circonstance pareille à celle où se trouva Rabelais, n’ayant pas de quoi payer sa dépense. Voici l’expédient dont il s’avisa un jour pour se faire conduire de Lyon à Paris, sans qu’il lui en coûtât rien , n’ayant plus d’argent pour achever sa route. Ayant été obligé de se sauver de Rome, pour avoir parlé trop librement contre l’Église romaine, il arriva à Lyon, n’étant pas plus chargé d’argent qu’un crapaud de plumes, et s’avisa d’un plaisant stratagème pour réconforter son estomac à jeûn. Il entra dans une auberge de superbe apparence, et demanda un bon souper et un bon lit, en disant que, bien qu’il fût mal vêtu et à pied, il était dans le cas de bien payer. Après avoir fait un ample souper, il remplit de cendre plusieurs petits sacs , et demanda un jeune garçon qui sût écrire. Il fit faire par cet enfant plusieurs billets, sur l’un desquels il y avait : poison pour le roi, sur le second, poison pour faire périr la reine; il appliqua ensuite ces billets sur chacun des petits sacs, et dit après à l’enfant : Gardez-vous bien de parler de cela à votre père et à votre mère; il y va de votre vie et de la mienne. L’enfant, comme Rabelais l’avait prévu, n’eut rien de plus pressé que de divulguer ce qu’on lui avait recommandé de tenir secret. Sa mère, saisie de frayeur, courut chez le magistrat faire sa déposition. Rabelais est saisi avec les petits sacs. Il demande d’être conduit à la cour , où il avait, disait-il, d’étranges choses à révéler. Afin que le chagrin ne le prenne pas en route, et pour qu’on puisse mieux conserver sa personne, on le fait monter sur un excellent cheval ; on lui fait faire bonne chère dans les auberges; enfin il arrive à la cour, où il raconte toute son histoire, qui se termine par faire rire le roi et les courtisans.
- Proverbes