Gilles-Anne-Xavier de La Santé
Le Rat et le Raton
Mon fils, disait un rat à son petit raton,
Qui n’avait brin d’expérience,
Et n’avait pas plus de prudence
Qu’un écolier n’a de raison ,
Fuyez, fuyez la souricière,
C’est une engeance meurtrière,
Croyez-moi, ne vous fiez pas
A mille dangereux appas
Qu’à notre famille on présente ;
Il en est mort plus de soixante
De nos amis, de nos parents,
Devenez sage à leurs dépens.
Eh bien , je fuirai la ratière
Autant qu’un chat fuit la rivière,
Dit le raton à son papa.
Et puis mon drôle décampa,
Bien résolu de vivre et de tout faire
Pour conserver le cher fils de son père.
Comme il sortait du trou de son papa mignon ,
Il voit, à quatre pas, un morceau de jambon.
Il accourt, il approche auprès de la ratière,
Il se coule, il se glisse, il rode par derrière,
Il avance, et de son museau
Flaire et caresse le morceau.
Il voudrait le croquer, mais il n’ose le faire,
Tant il a de respect pour les avis d’un père.
Mais enfin le jambon lui parut si charmant,
Et telle fut sa friandise,
Qu’il fit un faux raisonnement,
D’où s’en suivit une sottise. .
Voici quel fut son argument:
On peut sortir d’un gîte où l’on entre aisément ;
Or, je pourrai sans peine entrer dans la ratière;
J’en pourrai donc sortir de la même manière,
Sur ce principe, il entre, et sans autre façon,
Il se met à ronger la tranche de jambon.
Mais à peine l’eut-il touchée,
Que dès la première bouchée,
La ratière se ferme et se change en prison.
Qui fut embarrassé? Ce fut monsieur raton;
Il trotte, il trémousse, il appelle
Son cher papa. Point de nouvelle;
Plus de retour , le voilà pris :
Au lieu du papa, vient Mitis,
Qui fut présent à l’ouverture,
Et fit prompte déconfiture;
Car il croqua plustôt le malheureux raton,
Que raton n’eût croqué sa tranche de jambon.
Tout fils qui suit et qui révère
Les sages conseils d’un bon père,
Mérite un meilleur sort que celui de raton.
Son exemple est pour nous une utile leçon.
“Le Rat et le Raton”