Un vieux rat, au lit de la mort,
A son fils, qui pleurait et se lamentait fort,
Pour testament tint ce langage ;
Je te laisse, mon fils, assez ample héritage
De noix, de fromage et raisin
Tu trouveras plein magasin.
Jouis de mes travaux ; si tu veux être sage,
Quand tu vivrais cent ans, encore davantage,
Tu n’en verrais jamais la fin.
Mais prends garde à la friandise !
C’est un écueil : les lardons gras
Presque toujours sont de la mort-aux-rats.
Fuis, n’en approche en nulle guise,
Sinon, je te le prophétise,
Pauvre Raton, tu périras.
Le ciel te garde et t’en préserve !
Disant ces mots il l’embrassa,
Et dans le même instant le bon homme passa.
Le fils, maître des biens qu’avait mis en réserve
Son cher papa défunt, d’abord s’en engraissa ;
Mais tôt après, trouvant la chère trop bourgeoise,
De fromage et de noix enfin il se lassa.
Voilà donc mon galant qui s’écarte et qui croise
Sur tous les lieux des environs,
Croque morceaux de lard, et les trouve fort bons.
Parbleu ! se disait-il, mon bon homme de père,
Avec ses rogatons, faisait bien maigre chère !
Vivent la guerre et les lardons !
Advint qu’un jour dans une souricière
Il découvrit, en battant le pays,
Morceau de lard des plus exquis.
Bon, dit-il, tu viendras dans notre gibecière.
Le trou lui fut pourtant suspect, et lui fit peur.
J’ai même lu dans un fort bon auteur
Qu’il recula quatre pas en arrière.
Mais le lardon, comme un fatal aimant,
Le forçait, l’attirait à lui si doucement,
Qu’après bien des façons le pauvret s’en approche,
Et, le flairant de près, y porte enfin les dents :
La bascule se décroche,
Et, tombant, l’enferme dedans.
Le voilà pris : que va-t-il faire ?
Il en mourut, à ce qu’on dit.
Le papa l’avait bien prédit.
Avis, prédictions qui ne servent de guère :
Quel fils ne se croit pas plus sage que son père ?
“Le Rat et le Raton”