Études sur “Le Rat et l’Eléphant“de La Fontaine, P. Louis Solvet – 1812.
- Le Rat et l’Eléphant.

Le Rat et l’Éléphant
Phèdre , liv. 1, F. 38. — Maître Glotelet, dans les œuvres de Clément Mabot, apologue de la Mouche et l’Éléphant.
V. 1. Se croire un personnage est fort commun en France :
……………….
La sotte vanité nous est particulière.
Les Espagnols sont vains, mais d’une autre manière.
Quelle est cette manière ? Peut-être falloit—il, en l’expliquant, lui consacrer une autre fiction. Avancer deux propositions différentes et n’en prouver qu’une , Cela ne suffit pas en saine logique. La Fontaine manque ici au devoir qu’il paroit s’être imposé dans un de ses apologues, où il a écrit :
. . . . Je ne dis rien que je n’appuie De quelqu’exemple….
Quoi qu’il prétende, se croire un personnage est chose toute aussi commune parmi les Espagnols que parmi nous ; et un trait qui leur est particulier, c’est que cette prétention ne les abandonne pas même au sein de la misère la plus extrême. Un Espagnol est-il réduit à implorer l’assistance publique, il ne manquera jamais de se donner pour un pauvre gentilhomme que le malheur a contraint de quitter le lieu de sa naissance, et là-dessus une longue kirielle de ses titres, de ceux passés et présents de sa famille ; il voudroit vous persuader que votre honneur est intéressé à lui rendre service ; enfin, tout comme le rat de cette Fable,
Il ne se prise pas, tout petit qu’il puisse dire,
D’un grain moins que les Éléphants.
V. 7. Leur orgueil me semble, en un mot,
Beaucoup plus fou, mais pas si sot.
Voici la différence qu’établit entre les deux nations, sous le rapport de la vanité, un écrivain dont l’autorité est de quelque poids : « La paresse est un effet de « l’orgueil ; le travail est une suite de la vanité. L’orgueil d’un Espagnol le portera à ne point travailler; la vanité d’un Français le portera à savoir travailler mieux que les autres. » (Montesquieu). Et les Italiens, dont le jugement ne doit pas être suspect de . partialité, ont depuis long-temps caractérisé, de la manière suivante, les deux nations dans un de leurs proverbes : .
I Francesi parescono pazzi et non lo sono,
Ed i Spagnuoli parescono sabii e non lo sono.
Pour ce qui est de la Fable dont nous venons d’examiner le préambule avec quelque détail, elle est peu susceptible d’observations intéressantes. Seulement, M. de Rochefort en ayant rapproché quelques fragments de morceaux extraits de la traduction italienne de Pignotti (1),il se pourroit que ce travail ne déplût pas à quelques personnes, et nous allons le leur remettre sous les yeux.
V. 11. Un rat des plus petits voyoit un éléphant
Des plus gros, et railloit le marcher un peu lent
De la bête de haut parage.
L’auteur italien, croyant ne pouvoir imiter ce tour simple, naïf et plaisant, a cherché une autre tournure:
Un topo vanarello.
Perche aveu qualche volte dimorato
Entro i fori del portico d’Atene,
E disputar filosofi ascoltato
E rose delle dotte pergamene,
Cosi prese a parlare a un elefante.
« Un rat, tout orgueilleux d’avoir séjourné dans quelques trous du portique d’Athènes, et d’avoir rongé quelques doctes parchemins, parloit ainsi à un éléphant. »
Le rat de la Fable italienne fait à peu près le même raisonnement que le rat de La Fontaine; cependant il ajoute une image assez plaisante, qui ne laisse pas que de bien peindre la légèreté du rat :
« Vois, vois, comme, adroit et léger, je retourne, je passe ici et là: tandis que, traînant avec grand peine ton flanc fatigué, tu ne peux te mouvoir sans être hors d’haleine. »
Malheureusement, les derniers vers de la Fable italienne sont bien loin d’offrir la grâce et la rapidité de ceux de La Fontaine.
V. 29. Mais le chat, sortant de sa cage,
Lui fit voir, en moins d’un instant,
Qu’un rat n’est pas un éléphant.
L’italien ne paroît plus être ici que le commentaire du français :
Mostrogli in un stante
Qual sia la differenza
Fra un topo e un elefante.
(Le Rat et l’Eléphant)
(1) Journal des Savants, mars 1786