Se croire un personnage est fort commun en France.
On y fait l’homme d’importance,
Et l’on n’est souvent qu’un bourgeois :
C’est proprement le mal François.
La sotte vanité nous est particulière.
Les Espagnols sont vains, mais d’une autre manière.
Leur orgueil me semble en un mot
Beaucoup plus fou, mais pas si sot.
Donnons quelque image du nôtre
Qui sans doute en vaut bien un autre.
Un Rat des plus petits voyait un Éléphant
Des plus gros, et raillait le marcher un peu lent
De la bête de haut parage,
Qui marchait à gros équipage.
Sur l’animal à triple étage
Une Sultane de renom,
Son Chien, son Chat et sa Guenon,
Son Perroquet, sa vieille, et toute sa maison,
S’en allait en pèlerinage.
Le Rat s’étonnait que les gens
Fussent touchés de voir cette pesante masse :
Comme si d’occuper ou plus ou moins de place
Nous rendait, disait-il, plus ou moins importants.
Mais qu’admirez-vous tant en lui vous autres hommes ?
Serait-ce ce grand corps qui fait peur aux enfants ?
Nous ne nous prisons pas, tout petits que nous sommes,
D’un grain moins que les Éléphants.
Il en aurait dit davantage ;
Mais le Chat sortant de sa cage,
Lui fit voir en moins d’un instant
Qu’un Rat n’est pas un Éléphant.
Études sur les fables de La Fontaine, P. Louis Solvet – 1812.
Le Rat et l’Éléphant
Phèdre , liv. 1, F. 38. — Maître Glotelet, dans les œuvres de Clément Mabot, apologue de la Mouche et l’Éléphant.
V. 1. Se croire un personnage est fort commun en France :
……………….
La sotte vanité nous est particulière.
Les Espagnols sont vains, mais d’une autre manière.
Quelle est cette manière ? Peut-être falloit—il, en l’expliquant, lui consacrer une autre fiction. Avancer deux propositions différentes et n’en prouver qu’une , Cela ne suffit pas en saine logique. La Fontaine manque ici au devoir qu’il paroit s’être imposé dans un de ses apologues, où il a écrit :
. . . . Je ne dis rien que je n’appuie De quelqu’exemple….
Quoi qu’il prétende, se croire un personnage est chose toute aussi commune parmi les Espagnols que parmi nous ; et un trait qui leur est particulier, c’est que cette prétention ne les abandonne pas même au sein de la misère la plus extrême. Un Espagnol est-il réduit à implorer l’assistance publique, il ne manquera jamais de se donner pour un pauvre gentilhomme que le malheur a contraint de quitter le lieu de sa naissance, et là-dessus une longue kirielle de ses titres, de ceux passés et présents de sa famille ..Lire la suite
Analyse littéraire et grammaticale, Charles Nodier,1818.
*Son Perroquet, sa vieille, et toute sa maison,
1 Le cortège de cette sultane est assez ridiculement composé. Ce n’est pas là de la bonne plaisanterie.
*Qu’un Rat n’est pas un Éléphant.
2 Le mécanisme de ces derniers vers est remarquable. Le discours du rat est en vers graves, longs, et pompeux, parce-qu’il se complaît dans sou orgueil. La rapidité de ceux qui suivent nous rend tout-à-fait présente l’expédition du chat.