Marie-Nicolas-Silvestre Guillon
Théologien, prêtre – Commentaires sur la fable
Commentaires et analyses sur Le Renard et la Cigogne de MNS Guillon – 1803.
(1) Compère le Renard. Les titres de compère et commère , établissent entre homme et femme une parenté adoptive, familière, la plus libre de toutes. On appelle aussi compère, un homme adroit, fin , qui va à ses intérêts, et dont on doit se défier. Tout cela rapporté au caractère du Renard, lui convient à merveille.
(2) Se mit un jour en frais. On voit un avare qui donne rarement ; c’est un extraordinaire. Quelle en sera la suite?
(3) Et retint à dîner commère la Cigogne. Le Renard fait les avances, ce qui rend l’affront fait à la Cigogne plus piquant.
( L’abbé Batteux. )
(4) Le galant. Ce mot signifie amoureux, cherchant à plaire aux dames. Un repas où les conviés sont du même sexe, exige moins de recherches; autrement il en faut davantage. Le Renard sait trop bien vivre, il est trop galant pour manquer à ces convenances. Le galant est donc pris ironiquement.
(5) Besogne. Le poète a ramené ce mot à son sens antique. Muse , disait le poète Maynard :
On admire votre besogne ;
Mais vous n’avez ni feu, ni lieu.
C’est-à-dire que tous les efforts d’esprit du Renard, n’avoient pas été au-delà de ce clair brouet.
(6) Brouet , espèce de bouillon que l’on sert aux nouveaux époux. On croit voir un repas de noce, mais d’une noce de vilain. Brouet est vieux. «Le trop grand feu fait jeter le brouet hors le pot. » (Hist. maccaron. L. I. pag. 4- ) Et plus anciennement : « Premièrement feras cuyre en cane ton froment, après mettras dedans le jus ton broet de chair grasse, » Didier Cristol, traduct. franc, du Traité de Platine de obsoniis , L. VIII. ch. de la Fromentée.
Compère le Renard se mit un jour en frais,
et retint à dîner commère la Cigogne.
Le régal fût petit et sans beaucoup d’apprêts :
Le galant pour toute besogne,
Avait un brouet clair ; il vivait chichement.
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :
La Cigogne au long bec n’en put attraper miette ;
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.
Pour se venger de cette tromperie,
A quelque temps de là, la Cigogne le prie.
« Volontiers, lui dit-il ; car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie. »
A l’heure dite, il courut au logis
De la Cigogne son hôtesse ;
Loua très fort la politesse ;
Trouva le dîner cuit à point :
Bon appétit surtout ; Renards n’en manquent point.
Il se réjouissait à l’odeur de la viande
Mise en menus morceaux, et qu’il croyait friande*.
On servit, pour l’embarrasser,
En un vase à long col et d’étroite embouchure.
Le bec de la Cigogne y pouvait bien passer ;
Mais le museau du sire était d’autre mesure.
Il lui fallut à jeun retourner au logis,
Honteux comme un Renard qu’une Poule aurait pris,
Serrant la queue, et portant bas l’oreille.
Trompeurs, c’est pour vous que j’écris :
Attendez-vous à la pareille.
(7) La Cigogne au long bec n’en put attraper miette, Et le drôle eut lapé le tout en un moment,
Spectacle très-plaisant, l’un qui se gorge, et l’autre qui regarde ! La Cigogne au long bec : cette image en dit assez, elle peint l’animal et la cause de son abstinence forcée. N’en put attraper , tant le gourmand a soin de ne rien perdre. Et le drôle : on sait ce que c’est qu’un drôle (Batteux). Lapé : Quelle différence s’il y avait mangé ! ( Batteux ).
(8) . . . . Car avec mes amis,
Je ne fais point cérémonie. Le gourmand est toujours prêt.
(9) A l’heure dite, il courut au logis. Il n’y va pas , il y court.
(10) Loua très-fort, etc. Le lecteur est attentif à la manière dont la Cigogne se vengera du trompeur. Plus ces détails donnent une idée avantageuse de la cuisine, plus aussi le Renard sera puni de n’y pas toucher : ce sera le supplice de Tantale.
(11) Mais le museau du Sire. La malignité sourit à cette expression ordinairement honorifique. On n’est pas fâché de voir cette humiliante représailles.
(12) Honteux comme un Renard, etc.
Serrant la queue, et portant bas l’ oreille. Quelle peinture vaut cette description ! Elle faisait proverbe avant La Fontaine. On lit dans la Satyre Ménippée, cette comparaison satyrique sur la retraite du duc de Parme :
Et le Renard s’enfuit, Le menton contre terre, honteux d’esprit et blesme.
(Tom. I .pag. 211)» Et dans Régnier :
La queue en Loup qui fuit, et les yeux contre bas.
(Satyre VIII vers 220).
(Le Renard et la Cigogne analysée)