Léon Rousseau
Poète, officier d’Académie et fabuliste XIXº – Le renard et la panthère
Un Renard voyageait avec une Panthère.
Or, un matin, en flairant l’air,
Ils trouvent, dans un bois un gros quartier de chair,
Et, comme ils ne sont point tous deux de vie austère,
Ils veulent s’en rassasier.
Mais le Renard, voyant quelque objet meurtrier
A dessein placé sous la viande :
« C’est un piège, dit-il, mortel aux Descendants,
» Alors je puis la mettre sous mes dents,
» Cette chair grasse et friande ?
— Dit l’animal à l’habit moucheté —
« Qu’importe ma postérité ?…»
Ce disant, sur l’appât elle saute.
Mais de suite elle voit la grandeur de sa faute,
Car l’instrument s’étant tout d’un coup détendu,
Sa patte est prise au piège, et son sang répandu.
« Infâme, hurla-t-elle, pourquoi m’as-tu trompée ?
» Peut-être me voici pour la vie éclopée.
» Pourquoi ne m’as-tu pas signalé le danger ?
» Pourquoi donc plutôt m’engager
» À saisir cette chair sans crainte,
» Au risque de me voir étreinte
» Par cet instrument infernal,
» Qui me cause un horrible mal ?
» Tu me disais qu’il ne pouvait atteindre
» Que la Postérité.
» Tu ne cesseras donc de feindre? »
» je n’ai dit que la vérité,
» Répondit le rusé compère.
» N’est-il pas vrai, ma chère,
» Qu’aujourd’hui même tu subis,
» Et selon moi, c’est justice,
» Le châtiment du crime et de tout maléfice
» Par tes Ascendants commis ?
» Combien d’hommes n’ont pas tant d’esprit et de ruser
Chez le Renard c’est grâce infuse.
Léon Rousseau, Le renard et la panthère