Fables et poésies de Jean de La Fontaine
Il ne se faut jamais moquer des misérables,
Car qui peut s’assurer d’être toujours heureux?
Le sage Ésope, dans ses Fables,
Nous en donne un exemple ou deux.
Je ne les cite point, et certaine chronique
M’en fournit un plus authentique.
Le Renard se moquoit, un jour, de l’Écureuil,
Qu’il voyoit assailli d’une forte tempête :
« Te voilà, disoit-il, près d’entrer au cercueil,
Et de ta queue en vain tu te couvres la tête!
Plus tu t’es approché du faite,
Plus l’orage te trouve en butte à tous ses coups.
Tu cherchois les lieux hauts et voisins de la foudre :
Voilà ce qui t’en prend ! Moi, qui cherche des trous,
Je vis en attendant que tu sois mis en poudre. »
Tandis qu’ainsi le Renard se gaboit,
Il prenoit maint pauvre poulet
Au gobe.
Lorsque l’ire du ciel à l’Écureuil pardonne,
Il n’éclaire plus ni ne tonne ;
L’orage cesse, et le beau temps venu.
Un chasseur ayant aperçu
Le train de ce Renard autour de sa tanière :
« Tu paieras, dit-il, mes poulets ! »
Aussitôt nombre de bassets
Vous fait déloger le compère.
L’Écureuil l’aperçoit qui fuit
Devant la meute qui le suit :
Ce plaisir ne lui dure guère,
Car bientôt il le voit aux portes du trépas.
Il le voit, mais il n’en rit pas,
Instruit par sa propre misère.
1. Cette belle fable, qui paraît se rapporter à la disgrâce du surintendant Fouquet (il portail un écureuil dans ses armes) et qui a toutes les qualités des meilleures fables de La Fontaine, se trouve dans le tome XI de la collection in-folio des manuscrits de Conrart, à la Bibliothèque de l’Arsenal. Elle est écrite de la main d’un secrétaire, mais avec des corrections autographes de Conrart, parmi d’autres Fables tirées, d’Ésope et de Phèdre. lesquelles sont de La Fontaine et qui figurent toutes, excepta celle-ci, dans ses œuvres. On comprend que La Fontaine ne l’y ait point admise; non pas qu’il se fût réconcilié avec Colbert; mais, Fouquet condamné, il s’abstint de continuer des hostilités inutiles et dangereuses. C’est à peine s’il osa, du vivant de Colbert, avouer et publier l’élégie des Nymphes de Vaux. Toutefois il ne voulut pas perdre le sujet et la moralité de sa fable : le Renard et l’Écureuil, car il fit une nouvelle fable : le Lièvre et la Perdrix (liv. V, xvn), en tête de laquelle il conserva les quatre premiers vers de la précédente. Voy. la Correspondance littéraire, publiée par M. Lud. Lalanne, 6e. année, 1862, p. 131.(Le Renard et l’Ecureuil)