Jean de La Fontaine
Poète, moraliste et fabuliste XVIIº – Livre 12 – Le Renard et les Poulets d’Inde
Contre les assauts d’un Renard
Un arbre à des Dindons servait de citadelle.
Le perfide ayant fait tout le tour du rempart,
Et vu chacun en sentinelle,
S’écria : Quoi ! Ces gens se moqueront de moi !
Eux seuls seront exempts de la commune loi !
Non, par tous les Dieux, non. Il accomplit son dire.
La lune, alors luisant, semblait, contre le sire,
Vouloir favoriser la dindonnière gent.
Lui, qui n’était novice au métier d’assiégeant,
Eut recours à son sac de ruses scélérates,
Feignit vouloir gravir, se guinda sur ses pattes,
Puis contrefit le mort, puis le ressuscité.
Harlequin n’eût exécuté
Tant de différents personnages.
Il élevait sa queue, il la faisait briller,
Et cent mille autres badinages.
Pendant quoi nul Dindon n’eût osé sommeiller :
L’ennemi les lassait en leur tenant la vue
Sur même objet toujours tendue.
Les pauvres gens étant à la longue éblouis
Toujours il en tombait quelqu’un : autant de pris,
Autant de mis à part ; près de moitié succombe.
Le compagnon les porte en son garde-manger.
Le trop d’attention qu’on a pour le danger
Fait le plus souvent qu’on y tombe.
Analyses de Chamfort
V.3. Le perfide ayant fait tout le tour du rempart.
Cette fable est jolie et bien contée ; mais elle aura peu d’applications, tant qu’il sera vrai de dire qu’on ne guérit pas de la peur.
Commentaires de MNS Guillon
1) Lui qui n’était novice au métier, etc. Villis , dans son traité de l’Âme des Bêtes, rapporte ce fait comme certain. Un Renard voulant faire sa proie d’un Coq d’Inde qu’il voyait perché sur un arbre, imagina ce stratagème. Il se mit à tourner au tour de l’arbre avec beaucoup de vitesse et pendant assez longtemps.
Attentif au mouvement circulaire de son ennemi, le Coq d’Inde faisait autant de tours de tête pour ne le pas perdre de vue.
Enfin, étourdi par le tournoiement, il tombe du haut de l’arbre, et le Renard s’en saisit. (Le Renard et les Poulets d’Inde)