Fables et poésies de Jean de La Fontaine
Un Renard, tombé dans la fange
Et de Mouches presque mangé,
Trouvoit Jupiter fort étrange
De souffrir qu’à ce point le sort l’eût outragé.
Un Hérisson du voisinage,
Dans mes vers nouveau personnage,
Voulut le délivrer de l’importun essaim.
Le Renard aima mieux le garder, et fut sage.
« Vois-tu pas, dit-il, que la faim
Va rendre une autre troupe encor plus importune ?
Celle-ci, déjà soûle, aura moins d’âpreté. »
Trouver à cette fable une moralité
Nous semble chose assez commune.
On peut, sans grand effort d’esprit,
En appliquer l’exemple aux hommes.
Que de mouches on voit dans le siècle où nous sommes!
Cette fable est d’Ésope; Aristote le dit.
1. Le brouillon autographe de cette fable se trouve dans un manuscrit que M. le baron Delessert avait communiqué à Walckenaer, qui la publia dans sa première édition (1820) de l’Histoire de la vie et des ouvrages de La Fontaine (p. 498), mais qui ne l’a reproduite qu’une seule fois depuis dans une note des œuvres complètes (édit. de 1827). on sait que La Fontaine refit cette fable, en la développant, sous le titre de les Mouches, le Renard et le Hérisson (liv. XII, fable 13). La version primitive nous paraît supérieure à la dernière; eu tout cas, elle en diffère complètement. (Le Renard et les Mouches)