Fleury Flouch
Un Ministre, honnête homme, autant qu’on puisse l’être,
Lorsqu’on parvient à cet illustre rang,
Avait long-temps aidé son maître
De sa fortune et de son sang,
Et le Roi l’estimait. Ce prince, dit l’histoire,
Aux nobles accens de la gloire,
A l’hommage des rois vaincus,
Préférait le son des écus :
On le voyait de ses deux mains fiscales
Les ranger en piles égales ;
En véritable cancre il faisait, tous les ans,
Pleuvoir sur le budget des millions de francs.
On sait quel feu ronge un cœur métallique ;
C’est comme une soif d’hydropique ;
C’est la coupe de fiel aux lèvres d’Alecton.
Le Ministre, honnête homme,
( C’était le seul de la cour, nous dit-on ),
Voyait le peuple, au gré de l’auguste Harpagon,
Courber la tête, ainsi qu’une bête de somme
Qu’on gouverne à coups de bâton.
Son cœur s’émut, en comptant les subsides
Transmis au Potentat par mille agents cupides,
Francs éperviers, instruits à retenir
Sur cette offrande prolétaire
Une dîme adultère,
Qui procure à l’intrigue un moyen d’obtenir
L’un de ces hauts emplois, présents du ministère.
Entre larrons il faut se secourir.
Mais revenons au Ministre équitable.
Ce conseiller surnaturel,
Risquant sa dignité pour un trait charitable,
Aborda le Monarque, et d’un ton paternel,
Lui dit, sans employer des fleurs de rhétorique :
« Sire , entendez crier la misère publique.
» Ah ! tondez le mouton , mais ne l’écorchez pas ».
Au lieu de se fâcher, le Roi se mit à rire ;
Mais le conseil, pour lui, n’eut point d’appas ;
Il aimait trop l’argent pour y souscrire.
Plus d’un Ministre en pareil cas,
Écorcherait la brebis sans rien dire.
Fleury Flouch