Ne soyons point ambitieux,
Restons toujours ce que nous sommes ;
La fortune, présent des cieux ,
Est bien souvent funeste aux hommes.
C’est une grande vérité :
Tirons-en quelque utilité.
Un ruisseau promenait ses ondes fugitives
Sur un gazon couvert de mille fleurs ,
Qui répandaient les plus douces odeurs ;
Il semblait à regret abandonner ces rives,
Et s’égarait en cent détours;
Quelquefois même il suspendait son cours.
On eut dit que ses eaux paraissaient attentives
Aux concerts des oiseaux qui chantaient les beaux jours.
Aux bords de ce ruisseau, dans une paix profonde
Depuis long-tems le laboureur vivait,
Et quelquefois il s’endormait
Au doux murmure de son onde.
Dans son cours il fertilisait
Les campagnes qu’il arrosait ;
Enfin partout, sur son passage,
L’abondance régnait, Le bonheur habitait.
Mais par malheur il survient un orage :
Le ciel semble se fondre en eau ;
En moins d’une heure le ruisseau
Devient torrent…. Tout-a-coup il ravage
Ce qu’il rencontre en son passage ;
S’échappe de son lit, détruit dans sa fureur
Les vergers, les moissons, espoir du laboureur.
Bien ne lui résiste; ses ondes
Se creusent à grand bruit des demeures profonde.
L’épouvante au loin se répand….
Que de malheurs en un instant!
Il submerge en grondant les campagnes fécondes ;
Tout a fui devant lui, bergers, chiens et troupeaux,
Qu’il épouvante encor du long bruit de ses eaux.
Le nouveau parvenu du torrent est l’image :
Tant qu’il fut pauvre, il fut heureux et sage ;
Depuis que la fortune a daigne’ le chercher,
De son orgueil rien ne peut approcher.
Aux grandes places il aspire :
Ah! s’il devient ministre et régit un empire,
Fuyez, peuples, ou je vous plains!
Il sera plus cruel que bien des souverains,
Et certes, ce n’est pas peu dire.
“Le Ruisseau devenu Torrent”