Il était un Rustre et son Chien ;
Celui-ci plein d’esprit, de mérite et d’adresse,
Était son trésor, tout son bien.
Chacun vantait sa gentillesse ;
Et chacun l’allait voir : il n’en coûtait qu’un sou.
Le fusil sur l’épaule, il faisait l’exercice ;
Sautait sur un bâton ; puis c’était casse-cou ;
Toujours exact à son service,
Rapportait un mouchoir que l’on jetait au loin ;
Grimpait un arbre, un mur sans que le pied lui glisse ;
Et même dansait au besoin.
Mais aussi quand le drôle oubliait quelque chose,
Il était repris et fouetté.
Tout aux habiles gens n’est pas couleur de rose.
Ce train nuisit à sa santé.
Les veilles, les leçons et mainte et mainte course
L’avaient maigri. Mais le patron,
Plus soigneux de grossir sa bourse
Que d’alléger son compagnon,
Le faisait manœuvrer comme à l’accoutumée.
Le pauvre Charmant (c’est son nom),
Las ! Pour quelque once de fumée
Revenait fort souvent malade à la maison.
Un jour il avint qu’à son maître
Ce Chien dit : Vous plaît-il que je repose un peu ?
J’ai la fièvre, tâtez… — Comment ? Dormir, morbleu !
Et qui va nous donner aujourd’hui le potage ?
Pensez-vous qu’au logis il nous viendra tout cuit ?
Allons, Charmant, debout. Qu’on se mette en voyage.
Vous reposerez cette nuit.
Le Chien confus baissa l’oreille,
Ne dit mot, suivit son seigneur ;
Et lui sacrifiant un reste de vigueur,
Il dansa sur la corde, et fit, dit-on, merveille.
De retour au logis, la fatigue et la faim
L’épuisèrent. Voyant son dernier jour paraître,
Il se traîna jusqu’à son maître,
Et mourut en léchant sa main.
Le Rustre, en le perdant, réduit à la misère,
Regretta, mais trop tard, son ami, son soutien ;
Et disait aux passants , qui ne l’écoutaient guère :
Ah ! Donnez-moi l’aumône, ou rendez-moi mon Chien !
“Le Rustre et son Chien”