Un Gourmand avoit trop mangé,
Et son estomac dérangé
Menaçoit dernière ruine.
On appelle la médecine :
Elle réforme la cuisine.
Après beaucoup de vomitifs,
Surviennent les confortatifs.
On vous l’embaume, on l’englutine
De cordiaux et de résine.
Ah ! crioit-i!, race assassine !
Je meurs de faim…; point de pitié,…
Un œuf !… c’est trop de la moitié ;
Qu’on lui donne cette racine,
Puis ils s’en vont. Ces gens sont durs,
Dit le glouton, ma chère femme,
Leurs remèdes ne sont pas sûrs.
Mon état éclaire mon âme ;
Si je veux obtenir quartier,
Aux Dieux il faut sacrifier ;
Mais non de ces offrandes rares,
Car, sur l’autel de nos dieux lares,
Un coq, présenté de bon cœur,
D’Esculape obtient le faveur,
Couronne, plume la victime.
Si l’appétit a fait mon crime,
J’ai ce moyen de l’expier.
Toi, ton affaire est de prier.
L’épouse est très-expéditive,
Et bientôt la victime arrive.
Le sang sur une flamme vive,
Que le soufflet rendoit active,
Ruisselle, et déjà la vapeur
S’en élevoit en bonne odeur.
Pour achever le sacrifice,
Il faut une libation,
Va chercher du vin à l’office,
Moi je reste en dévotion.
La femme sort. L’ogre se rue
Sur cette chair, à demi-crue ;
En quatre coups de dent, c’est fait.
Ah ! dit la moitié, quel forfait !
Craignez que le ciel vous punisse…
Va, va, tu n’es qu’une novice,
Notre sacrifice est complet ;
Tu vas en juger par l’effet.
Aux Dieux j’ai laissé les prémices ;
La vapeur est faite pour eux ;
Ils en ont goûté les délices,
Moi, je n’ai plus l’estomac creux ;
C’en est fait, je me porte au mieux,
Adorons le grand Esculape ;
Pour ses suppôts, qu’on m’y rattrape !
Ainsi le gourmand s’applaudit ;
Mais une crise le saisit,
Il se roidit, pâme et succombe.
On va le jeter dans la tombe,
Où sa passion l’a conduit.
“Le Sacrifice du Gourmand”