Une églantine fleurissait
Au bord d’un profond précipice ;
Sa tige pliait au caprice
De la brise, qui balançait
Sa blanche et vermeille corolle,
De son souffle pur et léger,
Quand, par hasard, passa tout près d’elle un berger,
Vrai rustre, qui, malgré plus de cinq ans d’école
Chez certain magister très fort sur le latin,
Était plus ignorant peut-être
Que le troupeau qu’il menait paître.
La regardant avec dédain :
Vous vous croyez, dit-il, si belle, ma mignonne.
Qu’on doive devant vous fléchir les deux genoux
Comme devant une madone.
Orgueilleuse, détrompez-vous !
D’un trop flatteur espoir vous vous êtes leurrée :
Car, si vous êtes adorée,
C’est par de bien pauvres esprits.
Pour vous les gens sensés n’ont qu’un profond mépris,
Car à quoi servez-vous ?— Qu’on vous trouve superbe
Et qu’on vante votre carmin.
Moi, pâtre, je vous veux écraser de ma main,
Ainsi qu’un fragile brin d’herbe
Que je rencontre en mon chemin.
Voyez ce coloris perfide,
Qui brille le matin et guide,
Comme un follet trompeur, au bord du noir ravin
Quiconque aperçoit votre tête.
Vraiment, pour moi c’est une fête
De frapper votre vilain front.
Puis il touche de sa badine
La corolle de l’églantine,
Qui, frémissant d’effroi sous ce sanglant affront,
Voit tomber de son diadème
Pâle et brisé tout un côté ;
Quand passe sur le chemin même,
Par un pauvre baudet porté,
Certain savant pour qui tout est sujet d’étude,
Amoureux de la solitude,
Cherchant depuis le grain de blé
Et l’atome vivant dont le corps se devine,
Jusqu’à l’aigle, colosse ailé,
Les preuves de la main divine.
Apercevant la rose, idéale beauté,
Et près d’elle ayant arrêté
Sa monture aux longues oreilles :
Ô fleur ! merveille des merveilles,
S’écria-t-il tout enchanté,
Pur diamant tombé de la céleste voûte,
Par quelque bon ange apporté
Pour charmer nos regards, sans doute,
Saint ! mieux que la mer et son immensité,
Mieux que les monts couverts de neiges éternelles,
A mes yeux ravis tu révèles,
Ô chaste et fragile beauté,
Tout un monde de poésie !
Dieu te fit d’un rayon des cieux
Et du parfum de l’ambroisie.
Qui sait si ton front pur ne garde pas encor,
Sous tes feuilles de pourpre et tes pétales d’or,
Comme un souffle divin dont se souvient la terre ?
Qu’un autre plus heureux pénètre ce mystère…
Mais quel est le méchant qui brisa de son pied
Ô reine des bois, la moitié
De ta jeune et fraîche couronne ?
Ah ! maltraiter ainsi ce que le ciel nous donne
De plus pur, de plus beau, quelle perversité !
Ah ! voilà bien le fait de la brutalité
De ces gens qui, souillant les plus charmantes choses,
L’aile des papillons et les feuilles des roses,
Se traîneront, hélas ! jusqu’à l’éternité
Dans le honteux bourbier de la réalité.
Mais va ! pour te venger des insultes du pâtre.
Laisse-moi te cueillir. En un vase d’albâtre
Puisses-tu vivre encore ! une urne de cristal
Renfermera l’esprit de ta cendre pâlie,
Ton âme entière recueillie
Comme un parfum oriental !
Qu’un sot vous blâme ou vous méprise,
N’en prenez jamais de souci :
L’esprit a cassé jusqu’ici
Tous les arrêts de la sottise.
“Le Savant et le Pâtre”