Un savetier était de bonne humeur :
Ils le sont presque tous , et dans leur indigence
C’est la grâce d’état; louons la providence.
Ce compagnon crépin riait de très-bon cœur.
Tous les matins , un grave procureur
Passait devant sa boutique :
Pour cause, craignant la critique ,
Soupçonnant le rire moqueur :
Un jour il dit : pourquoi , chaque fois que je passe ,
Riez-vous donc . monsieur le savetier ?
— C’est que je suis bien~aise : en faisant mon métier ,
Je chante aussi, le plaisir me délasse.
Imitez-moi , sans vous mettre en courroux.
Je ris quand vous passez ? mais cela peut bien être;
Car je ris très-souvent : je vois par ma fenêtre
Tant de fripons ! mais pourquoi passez-vous
Au moment que je ris ? le reproche est fort drôle.
Adieu , monsieur ; sur ma parole,
Je n’ai rien de commun avec un procureur ;
Voilà pourquoi je suis de bonne humeur.
De vous, esprits chagrins , vous croyez qu’on se moque ,
Quand on sait rire de bon cœur :
De l’aimable gaîté concevez la douceur ,
Et le rire d’autrui n’aura rien qui vous choque.
“Le Savetier et le Procureur”