Commentaires et analyses sur “Le Savetier et le Financier” de MNS Guillon – 1803.
- Le Savetier et le Financier.
(1) Des passages. « Ornement dont on charge un trait de chant » pour l’ordinaire assez court, lequel est con)posé de plusieurs notes ou diminutions, qui se chantent pu se jouent très-légèrement. C’est ce que les Italiens appellent aussi passon. (J.J.Rousseau, Dict de Musique)
(2) Plus content qu’aucun des sept Sages de la Grèce. On suppose qu’ils puisoient le contentement à la félicité dans l’étude de la sagesse et l’exercice de la vertu. – Les historiens de la vie d’Anacréon lui prêtent un mot semblable à celui qui fait le sel de cet apologue. Pendant le séjour que ce poète fît à Samos, Polycrate lui envoya cinq talens d’or. Anacréon n’ayant pu se livrer au sommeil- pendant deux nuits à cause de cette somme, la renvoya le lendemain , en prononçant ces mots remarquables : il fait absolument mépriser et dédaigner tout ce qui peut contenir le germe du chagrin et de l’inquiétude. Polycrate lui demanda pourquoi il lui avoit renvoyé les cinq talens : je hais, lui répondit Anacréon avec une noble franchise, je hais un présent qui m’empêche de me livrer pendant la nuit aux douceurs du sommeil. ( Trad. d’Anacr. par Moutonnet de Clairfons, page 4 , edit. in-8°.Paris, 1780.)
Un Savetier chantait du matin jusqu’au soir :
C’était merveilles de le voir,
Merveilles de l’ouïr ; il faisait des passages,
Plus content qu’aucun des sept sages.
Son voisin au contraire, étant tout cousu d’or,
Chantait peu, dormait moins encor.
C’était un homme de finance.
Si sur le point du jour parfois il sommeillait,
Le Savetier alors en chantant l’éveillait,
Et le Financier se plaignait,
Que les soins de la Providence
N’eussent pas au marché fait vendre le dormir,
Comme le manger et le boire.
En son hôtel il fait venir
Le chanteur, et lui dit : Or çà, sire Grégoire,
……………………………………….
Si quelque chat faisait du bruit,
Le chat prenait l’argent : A la fin le pauvre homme
S’en courut chez celui qu’il ne réveillait plus !
Rendez-moi, lui dit-il, mes chansons et mon somme,
Et reprenez vos cent écus.
(3) Comme le manger et le boire. Nous avons déjà vu de ces infinitifs transformés en substantifs ; c’est une licence poétique dont la prose elle-même fournit plus d’un exemple. Le traducteur du Décameron : « le trotter fort rompt et lasse autrui, quelque jeune qu’il soit, là où l’aller, doucement, encore qu’on arrive plus tard au logis , vous y conduit tout reposé ». ( VIII Journées nouv. VII Tome IV. p. 201. )
(4) En, son hôtel il fait venir. « Le style naïf règne d’une manière presque inimitable dans toute la fable du Savetier et du Financier, sur-tout dans ce que le premier répond à l’autre ». ( Dardenne. ) Et il cite toute la tirade commençant à ce vers.
Qu’est-ce donc que le style naïf, selon le même écrivain ? « Le style naïf. ». dit-il, dépend beaucoup plus du sentiment, dont il est une expression fidelle , bien différent de ce style entortillé qui répand l’obscurité sur tout ce qu’il traite, et qui ne cesse de s’écarter de ce qui s’appelle la vraie nature, dont la naïveté est proprement l’effusion ». ( Fables, disc, prélim , p. 38. ) Or, c’est là réellement le caractère de cette excellente, mais rare qualité ; une familiarité sans bassesse, un enjouement sans éclats, une critique sans aigreur, des saillies vives et piquantes sans recherche et sans apprêts; en un mot, l’épanchement naturel d’un enfant ingénieux qui, se sentant à son aise, dit tout avec grâce, parce qu’il le dit avec candeur.
(5) Le Chat prenoit l’argent. Ainsi l’Harpagon de Molière, apercevant La Flèche , qui l’a à peine entrevu : « Je tremble qu’il n’ait soupçonné quelque chose de mon argents. (Acte I. se. III. ) Et dans une autre scène voyant Cléante et Elise qui se font des signes : « Je crois qu’ils se font signe l’un à l’autre de me voler ma Bourse ». (Acte II. sc. V. )
(6) S’en courut, comme s’en alla. Relégué, dans ce vieux langage marotique que Boileau, n’aimoit pas. Pourquoi, disoit-il, emprunter une autre langue que celle de son siècle? (V. Mém. sur la vie de J. Racine, p. 124)
Dans la fable de Florian, le pauvre devenu riche perd non seulement sa gaîté, mais jusqu’à son caractère humain et compatissant :
Depuis qu’il m’appartient (ce trésor) , Je ne suis plus le même :
Mon aine est endurcie, et la voix du malheur
N’arrive plus jusqu’à mon cœur.