Mon tendre ami, soutien de ma Couronne,
Dit un Sultan à son Visir,
Pourquoi sur les marches du trône,
Ne parviens-tu qu’à te faire haïr ?
Si tu le peux, occupe-toi de grâce
A justifier mon amour ;
Le cri de la haine me lasse :
Fais-toi des amis dans ma Cour.
Fort bien, dit le Visir, la chose m’est facile.
En moins de rien j’en aurai mille….
Tant mieux, ne perds donc point de temps ;
Il est si doux de voir aimer ce que l’on aime !…
On m’aimera…. Ma joie en est extrême :
Quoi ! tu deviendras cher à tous les mécontents ?
N’en doutez pas ; ils me loueront sans cesse ;
Mon secret est sûr ; le voici.
L’ambition, l’orgueil & la paresse
En moi trouveront un appui ;
Je payrai de ton or les talents inutiles,
Ils ne sont pas rares ici,
Et leurs éloges imbéciles
Ne manqueront pas, Dieu merci.
Sur ceux qui gouvernent tes villes,
Je n’aurai plus les yeux ouverts,
Leur tyrannie, en de vastes déserts,
Changera tes plaines fertiles,
Et tes Sujets, dans la crainte des fers,
Iront chercher d’autres asiles.
Arrête, dit le Sultan effrayé,
Je t’ai trop entendu, renonce à vouloir plaire.
Et des Courtisans, au contraire,
Redouble encor l’inimitié.
L’Astre de feu qui nous éclaire,
Si ses rayons brillants & doux
Sont le tourment & l’effroi des hiboux,
Doit-il nous cacher sa lumière.
« Le Secret de se faire Aimer »