Une pie encor jeune, une pie encor fille,
Possédait un secret, un secret de famille ;
Mais elle avait promis, repromis et juré
Par tout ce qu’un oiseau peut avoir de sacré,
Par le bec de sa mère et son honneur de pie,
Que nul être vivant n’en saurait un seul mot,
Et qu’elle y laisserait plutôt
Ses plumes, sa langue et sa vie.
Inutiles serments ! quiconque a bu boira,
Quiconque a jasé jasera.
Promesse de bavard et promesse d’ivrogne
Sont comme les serments des czars pour la Pologne.
Veulent-ils les tenir ? Ce n’est pas là le point :
Le point, trop sûr, hélas ! c’est qu’on ne les tient point.
Cette fois cependant, il faut que je l’avoue,
La demoiselle fit des efforts que je loue :
Elle resta trois jours sans desserrer le bec,
Fuyant ceux qu’elle aimait, solitaire et maussade,
Et, quand il le fallait, parlant peu, froid et sec :
Le quatrième jour, elle en tomba malade.
Un de ses grands amis, jeune et beau sansonnet,
Fort prisé pour ses airs et son charmant caquet,
La vint voir sur ces entrefaites :
« Qu’avez-vous ? lui dit-il ; quel air piteux vous faites !
Suis-je de trop ici ? Vous semblé-je indiscret ?
— « Non, restez, reprit-elle ; et d’une voix émue :
J’ai quelque chose là qui m’étouffe et me tue !
— Qu’est-ce donc ? Un remords ?— Oh ! bien plus ! un secret ! »
Un secret ! ô bonheur ! ô douceur défendue !
Régal délicieux ! mystérieux plaisir !
Les yeux du sansonnet en brillaient de désir.
Tous deux se regardaient d’un air ardent et tendre,
L’un brûlant de conter, l’autre brûlant d’entendre.
Enfin, comme un fougueux torrent
Par une digue en sable arrêté vainement,
Le secret contenu s’échappa bruyamment,
Et fit irruption en un flot de paroles
Vives, bouillonnantes et folles.
Margot lâcha l’écluse, oublia son serment,
Et se soulagea pleinement.
Le sansonnet partit, promettant de se taire.
Deux jours après sans plus, chacun dans la forêt
Était au courant du mystère.
La pie en l’apprenant en sauta de colère :
« Sotte langue ! bavard ! dit-elle au sansonnet,
Vous avez trahi mon secret ! »
L’autre lui répondit : « Qu’avez-vous donc, ma belle,
Et d’où vient ce bruyant courroux ?
Ai-je donc si mal fait d’agir ainsi que vous
Et de vous prendre pour modèle ?
Pour soulager mon cœur tout en gardant ma foi,
J’ai fait choix comme vous d’un confident fidèle,
Et sans doute à son tour il a fait comme moi.
La chose est assez naturelle,
Et, si vous teniez tant, ma jeune demoiselle,
A ce que ce secret fut ignoré de tous,
Il fallait le garder pour vous. »
Il dit et s’envola. Notre pauvre indiscrète
Alla cacher sa honte au fond des bois touffus,
Se promettant tout bas d’être toujours muette.
Elle se le promit, et n’en jasa que plus.
“Le Secret et la Pie”