Mes bons amis, je dois en convenir,
Je n’imaginais pas qu’un mort put revenir ;
Que, bien empaqueté, soit dans cette humble bière
Des humains du commun la retraite dernière,
Soit dans ce lourd cercueil dont le plomb protecteur
Plus long-temps au néant dispute un sénateur,
Au grand air un défunt pût jamais reparaître ;
Et par aucun motif, si pressant qu’il puisse être,
Se reproduire aux jeux des badauds effrayés,
A ses vieux ennemis venir tirer les pieds,
Sommer ses héritiers de tenir leurs promesses,
Et forcer ces ingrats à lui payer des messes.
Un curé de notre canton
Qui, s’il n’est esprit fort, est de moins esprit sage,
Deux fois par semaine, au sermon
L’affirme cependant aux gens de son village.
Or ça, lui dis-je un jour plaisant hors de saison,
Tantôt vous commenciez un somme,
Ou bien vous perdez la raison.
La raison, répond le bon homme,
Laquelle à mon avis doit régner en tout lieu ;
Même en chaire, enseigne qu’à Dieu,
Au monde il n’est rien d’impossible.
— Aucune vérité n’est pour moi plus sensible.
— Vous reconnaissez, frère, en accordant ce point,
Qu’à mon petit troupeau je n’en impose point
En lui disant que Dieu, mécontent qu’on se livre
A de pernicieux penchants,
Peut laisser les défunts lutiner les méchants
Afin de leur apprendre à vivre.
— Bien ! et vous le prouvez ? — Appuyant quelquefois
Ce dogme édifiant d’un pieux stratagème,
Vers le soir, dans la grange, ou sur les bords des toits
Je le prouve en faisant le revenant moi-même.
Tantôt vêtu de blanc, tantôt vêtu de noir,
J’ai vingt fois relancé jusque dans son manoir
Tel maraud qui déjà, coupable au fond de l’âme,
Et pendable un moment plus tard,
Convoitait du voisin le fromage ou le lard,
Ou bien la vache, ou bien la femme.
Changeant suivant le cas et de forme et de ton ;
Assisté du vicaire et sur-tout du bâton,
Ainsi dans ma paroisse exorcisant le crime,
Régénérant les mœurs, je fais payer la dîme,
Donne un père à l’enfant qui n’en aurait pas eu ;
Et, quand au cabaret dimanche on s’est battu,
Mettant l’apothicaire aux frais du bras qui blesse,
Je fais faire ici par faiblesse
Ce qu’on n’eut pas fait par vertu.
Osez-vous m’en blâmer ? — Moi, curé, je le jure
De tout mon cœur je vous absous ;
Et qui plus est je me résous
À tolérer parfois quelqu’une imposture.
Par un vil intérêt vers le mal entraîné,
Ou bien, si rarement, quand l’homme est ramené
Par le noble amour du bien même,
En employant l’erreur qu’il aime,
Dominons le penchant dont il est dominé.
Sans trop examiner si la chose est croyable,
De la chose qu’on croit, tirons utilité ;
Un préjugé sublime, une erreur pitoyable
Peut tourner au profit de la société ;
Il est bon que Rollet tremble en rêvant au diable
Et César en pensant à la postérité.
“Le Sermon du Curé”