On conte qu’un serpent voisin d’un Horloger
C’était pour l’Horloger un mauvais voisinage),
Entra dans sa boutique, et cherchant à manger
N’y rencontra pour tout potage
Qu’une Lime d’acier qu’il se mit à ronger.
Cette Lime lui dit, sans se mettre en colère :
Pauvre ignorant ! et que prétends-tu faire ?
Tu te prends à plus dur que toi.
Petit Serpent à tête folle,
Plutôt que d’emporter de moi
Seulement le quart d’une obole,
Tu te romprais toutes les dents.
Je ne crains que celles du temps.
Ceci s’adresse à vous, esprits du dernier ordre,
Qui n’étant bons à rien cherchez sur tout à mordre.
Vous vous tourmentez vainement.
Croyez-vous que vos dents impriment leurs outrages
Sur tant de beaux ouvrages ?
Ils sont pour vous d’airain, d’acier, de diamant.
Autre analyse:
Analyses de Chamfort – 1796.
V. 3. Je ne crains que celle du temps.
Cette idée très-philosophique, jetée dans le discours que La Fontaine prête à la lime, fait beaucoup d’effet, parce qu’elle est entièrement inattendue.
Commentaires de MNS Guillon – 1803.
Une Lime qui parle ! On se fait difficilement à cette illusion. Homère anime les forges de Vulcain ; à sa voix, les instruments du Dieu se meuvent d’eux-mêmes : mais Homère s’est bien gardé de faire parler des tenailles. Ne faisons pas plus de grâce à La Fontaine que nous n’en eussions fait à Homère ; ils sont tous deux si fort au-dessus de nos éloges et de nos critiques ! Disons qu’il y avoit bien d’autres acteurs à substituer à celui – ci. Mais ajoutons que cette fable étant un présent de l’antiquité, La Fontaine a cru devoir en conserver jusqu’au merveilleux qui outre la vraisemblance : comme sur certains antiques on laisse religieusement subsister la rouille qui les dépare…lire la suite
Études sur les fables de La Fontaine, P. Louis Solvet – 1812
Le Serpent et la Lime
Phedre, livre 4, fable 7
Cette Fable se trouve toute entière en tête d’une des premières éditions du Télémaque, celle de La Haie, 1701. Cette singulière précaution de la part des éditeurs, de placer ainsi cet ouvrage sous la sauvegarde de cet apologue, qui voue au ridicule, pour ne rien dire de plus, les critiques ignorants ou mal intentionnés des œuvres de génie, rappelle ces imprécations que les auteurs des anciens livres, dans les derniers siècles qui ont précédés la découverte de l’imprimerie, mettaient au devant de leurs ouvrages, imprécations par lesquelles ils appelaient les vengeances du ciel sur les copistes impudents ou mal-adroits qui se rendraient coupables d’intercalations dangereuses, ou de graves omissions, principaux dommages que les livres pou-voient alors éprouver;
V. 2. C’étoit pour l’horloger un mauvais voisinage.
C’étoit pour l’ouvrier un mauvais voisinage.
(M. Grenus, Fab. div., livre 3, fable 4))
V. 13. Je ne crains que celles du temps.
Cette idée très-philosophique, jetée dans le discours que La Fontaine prête à la Lime, fait beaucoup d’effet, parce qu’elle est entièrement inattendue. (Ch.).